Encore une fois cette année, les féministes et allié.es sont invité.es à se mobiliser dans le cadre d’une contre manifestation pour le droit à l’avortement. Ce rassemblement pro-choix, organisé par le Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale (RGF-CN), s’organise en réponse à une seconde édition de la Marche pour la vie qui, plusieurs l’espèrent, sera la dernière.
Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), journaliste multiplateforme
Une riposte festive
C’est à 12h40 ce samedi 31 mai au Parc de l’Amérique-Française que sont convié.es les militant.es pro-choix d’un peu partout dans la province, et ce, beau temps mauvais temps.
À travers cette riposte, les organisateur.ices déplorent le fait que « les anti-choix osent inviter plusieurs orateurs, dont des personnes issues du milieu politique et des chefs religieux pour demander au gouvernement de restreindre le droit à l’avortement ». Une prise de parole qui n’est pas sans rappeler La peur au ventre, documentaire de Léa Clermont-Dion dans lequel sont mis en lumières les liens étroits entre les groupes anti-choix, certains mouvements religieux et les sphères conservatrices du pouvoir, ainsi que les tactiques de désinformation et de pression qu’ils emploient pour influencer les prises de décisions politiques.
Lors d’une conférence donnée dans le cadre de l’édition 2025 de l’Université Féministe d’été, à l’Université Laval, Véronique Pronovost, doctorante en sociologie et en études féministes, abonde en ce sens lorsqu’elle explique que le mouvement anti-choix prend plus d’ampleur au Québec que ce que l’on pourrait être porté.es à croire. Recrutement actif, tournées provinciales de mobilisation dans les églises, manipulation émotionnelle : les anti-choix mettent tout en place pour tenter de gagner du terrain, et iels le font de manière décomplexée.
C’est pourquoi, cette année, les organisateur.ices proposent de se joindre à une « haie de la honte ». Là où la haie d’honneur sert traditionnellement de marque de reconnaissance et de respect, la haie de la honte, elle, ne célèbre pas : elle dénonce, marque le recul. Et là où certain.es voudraient imposer, elle résiste. La haie de la honte représente, pour le RGF-CN, un geste de refus collectif, une occasion de « crier HAUT ET FORT que le mouvement pro-choix québécois défendra le droit des femmes, des hommes trans et des personnes non-binaires de disposer de leur corps ».
À noter que le rassemblement se veut familial, inclusif et pacifique, afin, entre autres, de rendre ce genre d’événement militant accessible à toustes. Les participant.es sont d’ailleurs invité.es à apporter le nécessaire afin « d’huer ces idées rétrogrades qui osent attaquer le libre choix en vous rendant visibles et bruyant-es le long du parcours de leur marche ». Du matériel sera également disponible sur place.
Pourquoi dire « anti-choix » ?
Le choix des mots, s’il peut sembler anodin, est en fait important. L’expression « anti-choix » refuse les termes imposés par les mouvements conservateurs et leur prétendue posture « pro-vie » et permet dans un même temps d’exposer la réalité des discours et des actions menées par les groupes anti-avortement, qui consistent le plus souvent à restreindre le droit de disposer librement de son corps. En les qualifiant d’anti-choix, on nomme également une position qui vise à retirer un droit fondamental : celui de choisir d’interrompre ou non une grossesse, et ce, peu importe la raison. Tel que le mentionnait une militante de la riposte, «on a les enfants qu’on veut et les enfants qu’on peut ». Il faut le rappeler: être pro-choix, ce n’est pas être pro-avortement.
C’est dans ce contexte que s’inscrit et se précise la posture des mouvements pro-choix. Il s’agit surtout de réaffirmer les véritables enjeux d’une telle lutte, qui portent sur l’autonomie, le libre choix et la justice reproductrice. Ce que l’on tente de faire passer pour un débat relève avant toute chose d’une fausse opposition entre la vie et la mort, brandie pour masquer une attaque contre nos droits fondamentaux – et plus encore, d’une instrumentalisation politique et dangereuse de la question de l’avortement.
Car comme le rappelle une récente publication de Québec Antifasciste, c’est, ultimement, une question de contrôle : « sur les corps, sur les mœurs et sur notre sexualité ». Les mouvements anti-choix participent effectivement d’un projet plus vaste, qui sert notamment un agenda transphobe et qui agit comme point d’ancrage de l’extrême droite.
Voir cette publication sur Instagram
Pour le RGF-CN, la riposte pro-choix, c’est donc bien plus qu’une contre-manifestation réactive en réponse à la marche des anti-choix. C’est une action d’affirmation qui réitère haut et fort qu’il n’y a rien à concéder, rien à débattre; c’est « un rassemblement féministe pour porter un message clair PR0-CH0IX qui fait écho au large consensus social au Québec pour le droit à l’avortement » (RGF-CN).
Le Delta pointé du doigt
Certain.es auront peut-être remarqué qu’une campagne d’affichage contre l’hôtel Delta est en cours depuis quelques jours dans la ville de Québec, notamment dans le quartier Saint-Jean-Baptiste. Les contributeur.ices anonymes y dénoncent le choix du Delta d’accueillir, le jour du rassemblement, le Banquet pour la vie des anti-choix, se faisant ainsi « l’hôte de l’extrême droite ». Dans une autre publication partagée sur le compte Instagram de Québec Antifasciste, iels invitent à faire pression auprès de l’hôtel afin de rappeler clairement qu’il n’y a aucune place à Québec pour ce type de rassemblement, jugé inacceptable, profondément réactionnaire et répréhensible. Pas de place pour le backlash.
« Appelle au 418.647.1717 pour exprimer ton désaccord. Encore plus facile, fais savoir aux futurs visiteur.ses de l’hôtel quel genre de rassemblement sont permis entre ces murs en donnant un seule étoile sur Google. Le délais est court, il faut faire annuler le banquet ! »
Leur stratégie semble visiblement avoir porté fruits, puisque qu’au moment d’écrire ces lignes, le Delta aurait décidé d’annuler le tenue du banquet en ses murs. Le nouveau lieu n’a pour l’instant pas été annoncé.
Les contributeur.ices de la publication poursuivent finalement en encourageant la population à se joindre à la riposte pro-choix, le 31 mai, dès 12h40 au Parc de l’Amérique Française, mais aussi – et surtout – à former leur propre groupe, dans une optique de solidarité et d’action directe.
« Organise-toi avec ton groupe affinitaire & utilise les moyens à ta disposition pour empêcher la marche de se tenir. Mobilise tes ami.es et, toustes ensemble, disons NON à l’extrême droite et aux mouvements contre l’avortement ! FUCK le Patriarcat ! », peut-on lire en guise de conclusion.
La ville au rythme de la riposte
Des lampadaires aux ÀVélo, d’autres militant.es anonymes ont quant à elleux décidé d’intervenir en amont en couvrant la ville d’autocollants portant le message « Québec est pro-choix ». Cette contre-attaque visuelle et fort percutante par laquelle iels s’emparent de la rue et réinvestissent politiquement l’espace public rappelle l’importance de la multiplicité des voix et de la diversité des tactiques, de l’affichage militant à la « haie de la honte », pour porter un message et une lutte commune : le refus catégorique de toute remise en question du droit à l’avortement.
Décidément, les féministes et allié.es d’ici – et même d’ailleurs au Québec – sont solidaires et déterminé.es, prêt.es à lever le poing et les cintres. Iels attendent cette Marche pour la vie de pied ferme.
La riposte pro-choix, elle, s’annonce plurielle et festive, mais aussi sans équivoque : car deux manifestations anti-choix, c’est déjà deux de trop – et cette fois encore, nous répondront présent.es.