Depuis 27 ans, le Centre de prévention et d’intervention en matière de harcèlement (CPIMH) de l’Université Laval lutte férocement contre le phénomène des violences sexuelles dans la région de Québec. À une époque où le nombre de dénonciations est grandissant, la directrice de l’organisme, Josée Laprade, fait le point sur la situation, près d’un an après la crise des agressions sexuelles ayant secoué le campus.
De l’été 2016 à aujourd’hui, plus de 100 étudiants ont suivi la formation de Témoins actifs. Chacun d’entre eux est maintenant apte à identifier ou à repérer des situations à risque de violences à caractère sexuel, mais surtout à intervenir adéquatement pour éviter que ces scénarios se reproduisent dans le temps.
« Ça s’est fait vraiment de manière volontaire, et un engouement comme ça n’existait pas avant, explique la directrice. Cette priorité-là n’avait pas été identifiée tout simplement, mais maintenant, sur le campus, quand on parle aux étudiants, on sent vraiment une sensibilisation et un intérêt important. Il y a une vague vers le changement et le respect, l’ouverture, la tolérance. »
Plus générale, l’autre grande formation du Centre est le Guide de prévention des violences sexuelles, qui concerne plutôt les activités d’intégration. Pas moins de 300 étudiants y ont participé depuis un an.
Au total, ce sont donc 400 étudiants plus conscientisés à l’enjeu d’une manière ou d’une autre. Un chiffre que pense augmenter rapidement Mme Laprade, rappelant que de nouveaux programmes pourraient voir le jour très bientôt.
« On a encore des demandes pour tout ça, et beaucoup, mais on travaille sur de nouvelles choses aussi, dit-elle. On veut notamment éduquer les gens à recevoir un dévoilement de quelqu’un ayant vécu du harcèlement, parce que l’on constate que les victimes dénoncent très peu directement. Ils vont en parler auprès d’amis, de la famille, de profs, de chargés de cours, près d’eux, mais pas dans des instances. »
Un projet de loi qui tombe à point
Prévu cet automne, le projet de loi concernant les violences à caractère sexuel de la ministre responsable de l’Enseignement supérieur, Hélène David, pourrait changer des choses et augmenter l’influence des organismes comme le CPIMH. La directrice estime à ce sujet que l’appui du gouvernement permettra surtout de standardiser les pratiques.
« On va enfin avoir une uniformité dans les institutions collégiales et universitaires, en prévention et en intervention, dit-elle. On va avoir aussi plus de ressources, et oui ce sera mieux. Je pense que les victimes comme les étudiants, les employés et tous les membres de l’Université y gagneront. Ça force tout le monde à mieux s’outiller. »
Rappelant qu’il faut travailler sur du long terme, Josée Laprade demeure catégorique : le changement des mentalités est bel et bien possible sur un campus, quoique très difficile à réaliser à grande échelle. C’est pourquoi l’appui de l’État sera le bienvenue dans ce combat.
« Pour vous donner une idée, la première année, quand on faisait des présentations devant les classes, on se faisait regarder drôlement, poursuit-elle. Maintenant, il y a de l’ouverture. On réalise que c’est avec le partage d’idées, d’une année et d’une cohorte à l’autre, qu’on réussit à avoir un effet d’entraînement. »
Encore plus de collaboration
D’ici les prochains mois, voire les prochaines semaines, la campagne Le respect, rien de moins sera lancée à l’Université Laval et dans plusieurs autres établissements d’enseignement du réseau québécois.
En collaboration avec la CADEUL et l’AELIÉS, elle abordera plus précisément le harcèlement psychologique que peuvent subir certains étudiants dans des contextes sociaux, mais aussi académiques et sportifs. Ce genre de projets nécessitera des processus d’entraide importants, selon la directrice.
« Dans les prochaines années, je nous vois travailler en collaboration avec encore plus d’associations étudiantes, mais aussi les syndicats, les ressources humaines, les corps de police et notre service de sécurité ou encore la Direction des services étudiants (DSÉ). On a déjà un comité qui existe, mais il en faudra encore. »
Depuis le mois de mars dernier, une ressource spécialisée dans le dossier des violences à caractère sexuel est à l’embauche au Centre. Malgré tout, Mme Laprade ne croit pas que son équipe grossira nécessairement d’année en année. C’est plutôt son influence et ses partenaires qui augmenteront constamment, selon elle.
S’inspirer d’ailleurs
Au cœur du débat se trouve la notion de consentement, qui semble très mal comprise dans notre société, selon la directrice. « Il y a un malaise sociologique autour de ce concept-là et je pense qu’au fond, tous les étudiants devraient suivre une formation là-dessus à l’âge adulte, à tout de moins sur les bancs universitaires. Pas besoin d’une formation de 30 crédits, mais ça pourrait être une idée de l’obliger. »
C’est ce que font d’ailleurs plusieurs universités américaines actuellement. Dès l’entrée, les nouveaux admis doivent impérativement assister à ne serait-ce qu’une introduction à ce qu’est la violence sexuelle.
À Windsor, en Ontario, Charlene Senn a réalisé un projet de recherche captivant. La formation interpelle directement les jeunes femmes pour réduire les agressions sexuelles. Plusieurs volets existent, mais on parle par exemple de détection des situations à risque, d’affirmation de soi ou encore d’autodéfense. Au pays, le projet est le seul à avoir démontré une efficacité concrète sur son campus. Un projet qu’admire la directrice.
« Il faut agir aussi sur les principales victimes évidemment, qui sont les femmes, mais je dis et je répète que c’est en agissant sur plusieurs niveaux et sur tout le monde qu’on va vraiment arriver à trouver des solutions et à régler le problème », conclut-elle.