Leloup dans la bergerie

Il pleut et la 3e avenue est en chantiers, mais Jean Leloup se prête volontiers à une petite séance photo improvisée. Difficile le bonhomme ? Pas autant qu’on pourrait le croire. Plusieurs fans le saluent, s’arrêtent pour lui parler ou lui remettre un démo… Il leur répond tout sourire. Comme si après son Pow-wow raté au Colisée, le shaman halluciné qui insultait gaiement son public avait arrêté le peyotl.

Coït interrompu
Sent-il qu’il a quelque chose à se faire pardonner ? Pas vraiment. Mais il convient d’expliquer sa réaction : «Je ne veux pas faire une représentation, chanter mes tounes une après l’autre et que les gens placotent tranquillement pendant le spectacle. Ça n’a rien à voir avec une vraie expérience de musique, ça. C’est comme faire l’amour avec quelqu’un qui ne suit pas tes mouvements de bassin ! C’est vraiment frustrant.» Il avait «oublié», semble-t-il, les lacunes du public occidental. «Ça faisait longtemps que je n’avais pas fait de show, j’y ai pas pensé… En Afrique, les gens tapent dans le beat, ici, on n’est pas habitués de jouer et de bouger ensemble».

Faute d’avoir vécu une expérience pleinement jouissive avec le public de Québec, Jean Leloup trouve que l’évènement en valait la peine : «Il se passait de quoi, il y avait de l’action, les gens s’engueulaient…». Bref, les spectateurs n’agissaient pas comme des moutons, comme s’ils assistaient à un spectacle de Bernard Lachance. Et ce genre d’attitude plaît beaucoup au grand méchant Leloup.

«Fuck the system»
Éternel contestataire, poète rebelle un peu fou, Jean Leloup craint la banalité qui mène au désastre. Selon lui : «Notre société nous enjoint à filer un parfait petit bonheur de façade. Mais les gens sont amers et hypocrites. Ils sont malheureux sans le dire. On les offusque en leur disant la vérité.» Voilà le nœud du problème. Les gens ont peurs d’être libres comme l’artiste a peur de se caser et de vieillir. Un constat détonnant qui explique la relation amour-haine qu’il a développé avec le public québécois.

«Je ne veux pas que faire de la musique devienne un métier, un emploi, une obligation. Je joue quand ça me tente.» Il ne veut pas se laisser écraser par l’industrie Sept jours et compagnie. Malgré tout, ses fans le suivent, bon an, mal an, même s’il est dérangeant, s’il décide de faire du cinéma ou d’écrire un livre. Pourquoi ? L’intéressé a sa petite idée sur le sujet : «Bizarrement, les gens détestent le système, alors qu’ils y adhèrent totalement… Ça me fait plaisir de voir que les gens veulent rester libres, au fond.» Très lucide, quoi qu’on en dise, il ajoute : «Si mes tounes n’avaient pas pogné, je ne sais pas ce que j’aurais fait.» On peut parier qu’il aurait probablement donné des shows en Afrique ou fait de la poterie au Soudan. Rien de moins.

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