Yves Lever, historien et critique de cinéma, relate ici l’histoire de la censure du cinéma au Québec à travers des événements marquants, mais aussi des anecdotes divertissantes. Le cinéphile accompli et le lecteur du dimanche peuvent donc chacun y trouver satisfaction. Anastasie ou la censure du cinéma au Québec est un ouvrage qui porte sur le passé, le présent et l’avenir de la censure, sous toutes ses formes.
Mais qui est donc cette Anastasie? C’est une vieille dame à la plastique douteuse, hibou sur l’épaule, lunettes sur le nez et paire de ciseaux à la main. Cette mégère personnifie de manière on ne peut plus éloquente la censure du cinéma. La taille de ses ciseaux change selon les époques et selon la tolérance des autorités en place. L’auteur, appuyé par de nombreuses références, illustre efficacement la transformation de ce personnage métaphorique.
L’arrivée du cinéma, vers la fin du XIXe siècle, bouleverse la société québécoise et, plus particulièrement, l’Église catholique qui craint l’effet pervers des «vues animées» sur ses fidèles. Les autorités religieuses tentent par divers moyens de limiter, voire d’empêcher, l’accès aux salles de cinéma. Comme l’homme est avant tout un être de plaisirs, les gens persistent et veulent assister à cette nouvelle forme de divertissement et ce, malgré les contradictions que cela provoque : «Les gens pouvaient signer une pétition anti-cinéma le matin à l’église et aller quand même voir un film l’après-midi!», maintient l’auteur, Yves Lever.
Malgré cet engouement populaire, Anastasie affûte ses ciseaux et multiplie ses interventions dans la première partie du XXe siècle. Il faudra attendre la fin des années 50 pour voir apparaître, comme le dit Lever, «des lumières dans la grande noirceur». Avec la Révolution Tranquille, la censure se dépolitise, se professionnalise et fait face à de nouveaux enjeux. La libération sexuelle et sociale propre à cette époque amène son lot de films érotiques et violents, ce qui provoque une redéfinition des restrictions imposées. Ces tergiversations et questionnements collectifs modifient la personnalité d’Anastasie qui, de castratrice à moralisatrice, devient éducatrice au XXIe siècle. La vieille dame s’adoucit. Elle laisse ciseaux et hibou à la maison.
Cependant, il ne faut jamais prendre le progrès, aussi important soit-il, pour acquis. Les récentes décisions du gouvernement Harper en matière de culture font craindre un retour en force de la vieille Anastasie, rigide et chipie, celle qui veut maintenir une image proprette, calculée, remodelée par une autorité bien-pensante. «Je crois que Stephen Harper a pris cette décision pour satisfaire la branche ultra-conservatrice de son parti, tente de justifier l’auteur. Il effectue ces coupures budgétaires au nom de la morale, du maintien de l’ordre social».
L’histoire bégaye, on dirait… «La pire censure est le politiquement correct. Mais il y a une possibilité de réagir contre le politiquement correct. La remise en question par la parole est davantage possible maintenant», soutient-il. Une remise en question qu’il nous sera possible de concrétiser sous peu…