Photo par Léon Bodier

Conférences au COMICCON de Québec

De ce week-end, je garde deux coups de cœur : un burlesque geek nouveau, audacieux et inclusif — porté par des drag queens et des performeuses qui ont retourné la salle — et des conférences pensées pour outiller et relier les créateur.rices comme moi.  

par Léon Bodier, chef de pupitre aux arts 

Indigeeks : décoloniser la culture pop

Ce panel, animé par Bérénice Mollen-Dupuis et Widia Larivière, explorait la présence croissante des créateur.rices autochtones dans la culture geek contemporaine. Les deux panélistes, collaboratrices de la chronique Territoire geek sur Radio-Canada, présentaient le mouvement Indigigeek (au Canada) ou Indiginerd (aux États-Unis) comme une réappropriation active des codes de la pop culture. Né en 2019 autour du hashtag « When the First Nations claimed Baby Yoda », leur groupe fédère aujourd’hui une vingtaine d’artistes et artisan.es à travers l’Amérique du Nord, mais pense que le mouvement s’étend mondialement (jusqu’à l’Australie avec la communauté aborigène notamment). À présent, Dr. Inginerd, met en avant chaque année lors du Comic-Con autochtone d’Oklahoma City qu’il a fondé, des cosplays intégrant des éléments traditionnels (plumes, motifs de powwow, perlage fluorescent).

Photo par Léon Bodier

Leur mission passe par l’envie de revaloriser les savoir-faire culturels — perlage, tissage, sculpture, travail du cuir ou du bois — dans la production d’artefacts geeks. Bérénice Mollen-Dupuis est d’ailleurs la créatrice @maytheforcebeadwithyou, et une de leur collègue se fait connaître pour ses armures de Mandalorian réalisées en écorce de bouleau, aujourd’hui exposées dans des musées canadiens. Ces objets geek portent la marque de l’ourse, un sceau visuel qui garantit leur authenticité comme produits issus d’artisan.es autochtones, mais aussi qu’il soit reconnu comme tel par le public. 

Les deux conférencières ont aussi évoqué le rôle des médias autochtones numériques dans la diffusion du mouvement comme les podcasts Oasis 42 et Anishinaabe Geek, qui proposent des lectures critiques de franchises mainstream comme The Mandalorian, Avatar: The Last Airbender, What If…? ou Echo. L’idée centrale n’est pas d’occuper un espace symbolique, mais de décoloniser la science-fiction, d’y intégrer les imaginaires, les cosmogonies et les langues autochtones. L’exemple le plus frappant : les versions doublées de Star Wars, d’Avengers en lakota, disponibles sur Disney+, ou encore How to Train Your Dragon en cherokee — des initiatives de revitalisation linguistique menées pour la première fois à Montréal se répandent maintenant. D’ailleurs, l’artiste Daniel Bomer, conceptrice de robots, s’oriente vers des machines pédagogiques pour l’apprentissage des langues. 

Plutôt qu’un simple exposé, cette rencontre prenait la forme d’un appel à l’intérêt : les panélistes invitaient le public à identifier les influences autochtones cachées dans leurs franchises préférées et à y reconnaître des filiations souvent invisibilisées. À travers cette cartographie des imaginaires, Indigigeek propose une relecture essentielle : non pas un folklore greffé sur la culture pop, mais un continuum vivant entre héritage culturel et science-fiction.

La technologie au service de vos créations

Ensuite, c’était au tour d’un panel plus technique, animé par la professeure en informatique Marie-Pier Nadeau (alias Sylia246), mélangeant ses compétences d’informatique, de modélisation 3D, de cosplay et de coach de design au cégep de Théftford. Elle a organisé sa présentation en quatre temps : préparation, construction, post-production et démonstration.

  • Préparation : comment trouver des références visuelles (méthodes SEO, recherche inversée, sources de libraire) et organiser les données (éviter les captures d’écran, privilégier le stockage structuré, Google Drive, Discord, etc.).
  • Production : choix des outils (Illustrator, Inkscape, CorelDraw), méthode vectorielle, consulter ses calques via un iPad ou un smartphone.
  • Post-production : superposer des photos (costume vs maquillage) pour affiner les ajustements.
  • Démonstration : quelques minutes de mise en pratique, montrant les effets d’outil vectoriel sur un prototype visuel.

Ce qui m’a frappé : elle partageait ses fichiers (PDF, PowerPoint, liens) pour que les participant.es repartent avec les outils. Ce n’était donc pas juste une introduction, c’était une véritable formation d’appoint — précieux pour quiconque désire s’initier à la création numérique appliquée au cosplay.

Réfléchir grâce à l’horreur : pourquoi pas ? (+18)

Ce panel réservé aux 18 ans et plus réunissait Jonathan Reynolds, Pierre-Luc Lafrance et Philippe-Aubert Côté, trois écrivains qui défendent l’idée que l’horreur n’est pas qu’un divertissement, mais aussi un outil de pensée. La discussion, volontairement participative, alternait entre questions ouvertes posées au public et échanges spontanés. Loin du cours magistral, c’était une conversation sur la fonction réflexive du genre afin d’aider les auditeur.rices à commencer à y réfléchir par elleux-mêmes.  

Jonathan Reynolds, Pierre-Luc Lafrance et Philippe-Aubert Côté, photo par Léon Bodier

La première question posée : « C’est quoi l’horreur ? » — un mot simple, mais aux contours fuyants. Pour Lafrance, « c’est un traitement, une intention » ; pour Reynolds, « une descente — psychologique ou frontale, mais une descente tout de même ». Il cite Stephen King qui distingue trois degrés : la terreur, l’horreur et la révulsion. Côté, à son tour,, défend l’idée que « c’est un genre autonome, avec sa propre dynamique, ses saveurs », reprenant les cinq tonalités identifiées par King : l’anticipation, la terreur (le pied collé au sol), l’horreur (l’infraction de réalité), le choc, puis la révulsion.

La deuxième question interrogeait la légitimité du genre. Pourquoi l’horreur reste-t-elle souvent traitée comme une sous-littérature ? « C’est de la vraie littérature qu’on a reléguée au rang de sous-genre » déplore Reynolds, évoquant la frilosité française : « Peut-être à cause des vieilles traductions ratées ». Côté cite alors la parution récente de La Nuit ravagée chez Gallimard, « leur premier recueil d’horreur ! », pour souligner l’absurdité du retard culturel : « Une maison hantée, ce n’est pourtant pas un sujet neuf ». Lafrance, lui, démonte l’idée reçue que « l’horreur, c’est facile » : « Ce n’est pas un litre de sang qui m’accroche ; il faut autre chose pour faire peur. »

Leur réflexion s’élargit alors à la perception morale du genre. À une question du public — « Est-ce que l’horreur dérange parce qu’elle représente le mal ? » — Reynolds répond que, paradoxalement, « le bien et le mal y sont souvent plus clairement scindés que dans d’autres fictions ». Lafrance ajoute : « Tout le monde n’a pas le goût de sortir de sa zone de confort. » Et Côté conclut : « L’horreur s’insinue jusqu’à vous, et c’est pour ça qu’elle dérange. »

Enfin, la dernière séquence liait horreur et critique sociale. Reynolds mentionne Candyman ; Côté, les films où la peur du monstre déplace le regard sur le racisme. Lafrance, lui, évoque Hellraiser, tandis que Côté cite aussi Dr. Jekyll et Mr. Hyde : « La plus belle conception de la vie humaine que j’aie trouvée vient d’un livre d’horreur. » 

Ce Comiccon m’a rappelé qu’une convention n’est pas seulement un programme ; c’est une communauté qui se reconnaît. Et c’est sans doute pour cela qu’on y revient.

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