Envoûtante déchéance
Alors qu’il s’était plutôt inspiré de sa vie personnelle afin d’écrire Dérives en 2010, Biz revient cette année avec Naufrage, décrivant un protagoniste aux antipodes de l’artiste qu’il est dans la vie. Il s’agit du quatrième roman de l’ex-rappeur du groupe Loco Locass.
Frédérick Limoges est un fonctionnaire québécois bien commun, conjoint amoureux et nouvellement père. Au début du récit, on explore la sphère professionnelle de l’homme. Ayant subi une mutation dans un autre département, celui-ci erre entre l’ennui créé par un flagrant manque de travail et l’envie de juger ses collègues tous plus spéciaux les uns que les autres. Frédérick passe de l’étage 1 à son nouveau département au sous-sol de l’immeuble. Métaphore intéressante des rares efforts demandés et du piètre mérite que lui apportent ses « nouvelles tâches » aux Archives.
On ressent la souffrance de l’homme pourtant cultivé, maintenant carencé en véritable stimulation cérébrale. On se questionne sur la réelle possibilité d’épanouissement de ces travailleurs qui font du neuf à cinq dans des immeubles à bureaux, entassés comme des sardines.
Frédérick devient de plus en plus préoccupé.
Puis, une coupure survient. L’existence de Frédérick se désagrège, sous toutes ses facettes. Entre les flots d’alcool et les incertitudes, l’auteur gifle par l’honnêteté de ses phrases minimalistes. Les accusations, mais aussi la culpabilité et les remords guident les personnages qui sombrent dans un univers au futur incertain. Un deuil plonge le protagoniste sur une pente glissante, où la déchéance et le laisser-aller semblent presque envoûtants. À travers cette douleur se trouvent toutefois les lignes les plus puissantes du roman, entraînant le lecteur à ressentir des émotions souvent contradictoires à propos du personnage principal.
La force de Biz réside dans le fait de pouvoir décortiquer de simples mots en expressions lyriques tout à fait exquises. C’est aussi de réussir à nous faire faire un petit sourire en coin au milieu d’une réelle tragédie. Dans les pires moments, de brèves réflexions fatalistes et sarcastiques nous font prendre un recul sur l’univers sombre dans lequel Frédérick vit. Malgré l’environnement lourd et ténébreux dans lequel son personnage évolue, Biz amène un vent de fraîcheur. Il en résulte une lecture rythmée et diversifiée.
Il y a beaucoup de matière dans Naufrage. À travers une écriture fluide et poétique, des images poignantes se créent sans prévenir, fortes par leur simplicité. Biz nous emmène d’abord dans une histoire à l’apparence simpliste, et nous sidère ensuite dans la deuxième partie du récit.
Une deuxième partie que personne n’aurait pu prédire.
4/5
Naufrage
Biz
LEMÉAC
136 pages
En librairie depuis le 20 janvier