D’habitude, j’essaie de prioriser les représentations ou les événements qui sont accessibles, question de ne pas faire la critique d’une œuvre que personne ne pourra se permettre d’aller voir après coup, surtout considérant ma situation d’étudiante. Mais en voyant passer sur Facebook la vidéo de présentation de Crypto – comme dans cryptozoologie, pas comme la monnaie, sale petit.e capitaliste –, création du danseur et chorégraphe Guillaume Côté et du librettiste Royce Vavrek, la proposition a immédiatement su m’interpeler, entre autres par son caractère multidisciplinaire. Le spectacle alliant danse, théâtre et arts numériques, je n’ai pas hésité à me procurer un billet dans les minutes qui ont suivi ce court visionnement. Coup de chance : les interprètes au féminin étaient à l’honneur, hier, au Diamant. Comment me flatter dans le sens du poil 101. Retour sur un spectacle original et efficace.
Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts
Danseur.euses interprètes : Guillaume Côté, Greta Hogdkinson, Natasha Poon Woo et Casia Vengoechea | Chorégraphie et mise en scène : Guillaume Côté | Compositeur : Mikael Karlsson | Histoire et texte : Royce Vavrek | Création des décors et des vidéos : Mirari / Thomas Payette et Mylène Chabrol | Designer animation graphique : Joshua Ingleby | Illustratrice : Lily Le
Parce que je ne pouvais évidemment pas sortir mon téléphone pour prendre des notes et ne rien oublier durant la représentation, je me suis quand même empressée de dresser une liste rapide lors de mon trajet du retour des éléments qui ont retenu mon attention, ou, du moins, qui m’apparaissaient comme des composantes essentielles ou marquantes de la représentation : la narration et le texte, la musique, la chorégraphie et le vocabulaire de danse, les projections d’images et d’animations ainsi que les décors et accessoires. Ça peut sembler beaucoup, voire un peu trop chargé. On pourrait d’ailleurs facilement croire à, justement, une simple liste d’éléments hétéroclites qui font acte chacun de leur côté et qui contribuent à former un tout bruyant, plus ou moins bien amalgamé. Pourtant, ce sont ces mêmes éléments qui permettent de tisser une toile narrative autour de ce conte intéressant et de donner un rythme, par leur inclusion ainsi que leurs multiples variations et combinaisons, à la représentation.
Bon. Il faut quand même commencer quelque part. De mon point de vue, la constante de la création de Côté est certainement la danse. C’est elle qui, au fil des tableaux, revient, accompagne, prend en charge. La musique, les projections, les accessoires et la narration sont cosmopolites et leurs diverses apparitions s’inscrivent dans une optique de clignotement : ils s’alternent et se répondent. Les danseur.euses-interprètes sont parfois seul.es, parfois toustes ensemble ; iels bougent dans le silence ou en totale harmonie avec la musique de Karlsson, avec ou sans narration, soumis.es au régime de l’objet ou enveloppé par les animations, sans pour autant en être éclipsé.es. Le croisement et l’interaction qui s’opèrent entre les disciplines varient en intensité : nous servir tout en même temps aurait été surstimulant et aurait probablement rendu la proposition indigeste, éventuellement fade ou monotone. C’est là tout l’intérêt et la pertinence d’une narration tantôt textuelle, tantôt musciale ou iconographique. Peu importe la manière mise à l’avant plan pour faire valoir les thématiques du récit – prise de contrôle et de domestication de la nature, de l’autre, de la créature – le propos est clair et se renouvelle, et ce, sans que l’on tombe dans le surinvestissement et la surenchère. Ultimement, le public peut plus facilement s’identifier à ce qui lui est proposé, tout en pouvant apprécier les innovations formelles et esthétiques de la représentation.
Surtout, la rencontre des médiums est intéressante en ceci qu’elle octroie au récit et à son interprétation de nouvelles potentialités de sens. D’ailleurs, la dimension plus théâtrale favorisait, notamment grâce aux décors et accessoires – aussi minimalistes soient-ils –, une forme d’accessibilité et une meilleure compréhension de ce qui nous était présenté sur scène. Une interprétation théâtrale, donc, que le vocabulaire de danse rattrapait en évitant d’être trop littérale. Les mouvements étaient fortement marqués par les attitudes et la posture que l’on connait au ballet et qui viennent alors induire un sentiment de contrôle, élément narratif marquant, bien que la chorégraphie puise également dans un registre davantage contemporain. Je souligne, au passage, les lignes de corps délicieuses, les nombreux portés et la richesse de la chorégraphie qui nous a été offerte hier soir.
Il y a donc là un tout organique dont les transitions, l’intégration et la juxtaposition habiles et bien dosées des divers éléments témoignent. C’est précisément en ces dialogues entre disciplines que résident l’originalité de l’oeuvre et la réactualisation de son propos.
© Crédits photos : Karolina Kuras