Avant la rentrée 2025, je n’avais encore jamais vu de spectacle d’improvisation de ma vie. Comme j’ai rapidement compris que c’est un art très apprécié à Québec, je me suis évidemment mis a arpenté ses lieux et me suis lancé sur les traces de ses interprètes. Alors que le 31ème Mondial d’impro bat son plein à Strasbourg en France du 16 au 25 octobre (à 30mn de ma ville natale), voici mon portrait de deux semaines d’improvisation à Québec !
Par Léon Bodier, chef de pupitre aux arts
KROUIK – 1er Octobre
Le premier arrêt de mon périple improvisé c’est Krouik ; une soirée organisée par le cinéma Beaumont au complexe Méduse qui célèbre l’art du doublage absurde. Sur scène, quatre comédien.nes découvrent en même temps que le public les clips vidéo qu’ils devront réinventer : extraits de films populaires, émissions de téléréalité, archives poussiéreuses, voire vidéos TikTok. Le résultat est un chaos jubilatoire où l’humour naît de la surprise partagée.
Le spectacle s’ouvre sur une séquence loufoque — une courte vidéo volontairement absurde — avant l’entrée des artistes, sous les applaudissements d’un public déjà conquis. L’ambiance est résolument conviviale : entre chaque clip, la musique reprend pour relancer le beat, laisser éclater les rires et donner aux spectateur.rices le temps de souffler avant la prochaine improvisation. Le format est progressif : une première vidéo courte “pour chauffer la salle”, puis des duos, trios ou quatuors plus longs qui demandent une belle dextérité, avec roulement des équipes à la mi-temps.
Le charme opère d’autant plus que les interprètes réagissent en direct à leur propre performance — s’ils ratent une bouche mal synchronisée, ils rebondissent aussitôt : « T’es comme un ventriloque ! » Les transitions musicales, les bruitages inventifs et l’énergie du public transforment chaque erreur en trouvaille. Les blagues qui reviennent d’un sketch à l’autre créent des inside jokes entre artistes et spectateur.rices, tissant une véritable connivence. Mais l’exercice demande doigté : un choix de clip malheureux, comme une vidéo politique, peut refroidir l’ambiance. Le plaisir culmine lorsque les comédien.nes arrivent, au fil des vidéos, à arracher au public “Moi, j’aimerais regarder une série comme ça”.
Parfois à l’ImproDôme, cette édition au Beaumont sert à tester les croisements de publics entre les deux lieux. Pari réussi : à main levée, les trois quarts de la salle assistaient à leur première soirée au Beaumont. Les membres réguliers invitent à chaque représentation des artistes avec qui iels souhaitent collaborer, cette fois, c’était Nathan Meilleur. Alors, venez retrouver l’équipe de @krouik tous les premiers mercredis du mois au Beaumont pour rencontrer leur prochain invité !
SAINT-JEAN COMEDY-CLUB – 8 Octobre
Changement de décor au Saint-Jean Comedy-Club, aucune table de libre pour un match d’improvisation au restaurant bar. Ici, tout est question de rythme et de compétition amicale. Comme à l’habitude, avant chaque affrontement, les improvisateur.rices ont quelques minutes pour accorder leurs idées et définir un setting (un caucus dans le jargon officiel).
Puis place au match sur les notes d’un pianiste accompagnant la soirée en direct ; il suit les moindres rebonds de la scène. Certaines catégories imposent de chanter, d’autres de mimer sur des thèmes prédéfinis comme “J’suis crinqué raide”, et le tout repose sur une écoute absolue. La complicité entre les joueurs saute aux yeux : une des actrices explique que les artistes d’improvisation se connaissent depuis le cégep, ce qui permet de construire facilement des équipes qui roulent de rire sincèrement aux blagues des autres. Loin du cliché du duel agressif, le combat d’impro d’aujourd’hui est devenu une œuvre collective où la solidarité remplace la rivalité.
Mais celui qui a le plus de fun, c’est le juge au premier rang armé d’une clochette, qui encourage les votes à main levée pour départager les équipes tout en se tordant de rire.
Ligue Universitaire d’Improvisation (LUI) – 10 octobre
Tous les vendredis soirs, le Grand Salon du pavillon Alphonse-Desjardins à l’Université Laval se transforme en véritable arène. Pour 6 $, la LUI offre un spectacle complet : bande-annonce d’ouverture, musique d’intro, machine à fumée, groupe live, lumières, et présentateurs déchaînés. L’ambiance rappelle un match de hockey : sur un ring entouré de gradins, on retrouve hymne chanté en chœur, arbitres hués, fans criant le nom de leur équipe favorite et, juste avant le coup d’envoi, une embrassade collective entre les deux camps pour se souhaiter bonne chance.
Dès le départ, les animateurs chauffent les estrades, invitant chaque section du public à se battre à coups de hurlements. Pendant le match, la technique suit le rythme du jeu : jeux de lumières jour/nuit pour accompagner les changements d’ambiance, et les présentateurs commentent les performances durant les “focus”. Les improvisateur.rices, en maillot, s’affrontent principalement sur des sujets libres avec des chronos longs, laissant place à de véritables constructions narratives. Mais la catégorie de “l’anglais approximatif” reste la préférée du public, et les blagues sur les Français font toujours mouche. Ceux et celles qui savent jouer sur le malaise ont de grandes chances de remporter la manche.
Le public participe à chaque instant : il vote, scande, siffle, et parfois même participe aux faux penalties ou aux lancers de gougounes. Ce vendredi, alors que les équipes de Pique et de Trèfle parmi les quatres enseignes de jeux de cartes, s’affrontent, l’énergie collective transforme cette soirée en un rituel jubilatoire où sport et théâtre se confondent.
FANFAFRED – 12 Octobre
Dernier arrêt : la Fanfafred de la Ligue d’improvisation musicale de Québec au Festival Réverbères à Saint-Roch ce weekend, un concept où la musique guide la création scénique. Pas de partitions ici — “elles se sont envolées un jour, mais l’inspiration, elle, est restée”, plaisante Fred Lebrasseur. Ce batteur agit comme chef d’orchestre, donnant des signaux précis aux musicien.nes et aux improvisateur.rices pour accélérer, ralentir, changer d’ambiance ou pour indiquer vouloir que l’un ou l’autre des artistes joue en priorité.
C’est le public qui choisit les thématiques et il laisse même les volontaires diriger l’orchestre… cette fois-ci un bébé ! L’atmosphère est joyeusement chaotique : on souhaiterait que Fred ait un micro pour mieux entendre son showmanship teinté de folie. On y retrouve une liberté rare, où le son devient partenaire du geste, et où la scène s’invente collectivement, note après note.
En deux semaines, j’ai découvert une scène foisonnante, ouverte et généreuse. À Québec, l’impro n’est pas un simple divertissement : c’est une manière d’habiter le moment, d’accepter l’erreur et de transformer le hasard en éclat de rire. Entre compétition, connivence et création, ces soirées rappellent que l’art vivant porte bien son nom.
Pour aller plus loin
- Mondial d’impro : Strasbourg en France du 16 au 25 oct https://www.mondial-impro.com/le-mondial-dimprovisation-theatrale-amateur/
- LNI – Match d’Impro | Montréal : 24 octobre, 20 h, Le Théâtre de la Ligue
- Ligue d’impro de Québec – Palais Montcalm : tous les mardis
- Festival d’Impro de Québec (4e édition) : du 23 avril au 3 mai 2026
- Soirées d’impro à Québec : local.fiatlux.tk/quebec/bars/impro
- Ligue d’improvisation musicale de Québec (LIMQ) : saison 2025-2026 https://impromusicale.com/