LES DIX COMMANDEMENTS – Volet chorégraphique : une expérience immersive

Afin de célébrer ses vingt ans, la compagnie Le fils d’Adrien danse s’est permise de revisiter la pièce emblématique de Harold Rhéaume, LES DIX COMMANDEMENTS. Le projet se déployant en trois volets – cinématographique, in situ et chorégraphique-, fut soumis à une réactualisation, sans toutefois perdre l’essence de la pièce originale de 1998, qui s’était avérée être un tournant important et un point marquant dans la carrière et le processus créatif de Rhéaume. Ce 13 octobre, j’ai eu la chance d’assister au volet chorégraphique à l’Espace Saint-Grégoire de Québec, en plus de pouvoir participer à une discussion informelle avec les artistes à la suite de la représentation et de pouvoir admirer l’exposition de Mathilde Bois. Une expérience unique et immersive qui m’a grandement touchée, mais qui, surtout, m’a totalement transportée. Retour sur cet événement mythique.

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), journaliste multimédia

Chorégraphie : Harold Rhéaume, en collaboration avec les interprètes | Interprétation : Nicholas Bellefleur, Josiane Bernier, Alexandre Carlos, Charles-Alexis Desgagnés, Jean-François Duke, Misheel Ganbold, Étienne Lambert, Eve Rousseau-Cyr, Ariane Voineau, Léa Ratycz-Légaré (en remplacement de Miranda Chan) | Composition musicale : Josué Beaucage | Lumières : Philippe Lessard-Drolet | Violoncelle : Louis-Solem Pérot | Chant: Marianne Poirier | Illustrations et œil extérieur : Mathilde Bois

 D’abord, un petit mot sur le lieu de représentation et sur la disposition de la salle. À l’intérieur même de l’Espace Saint-Grégoire, les spectateurs.rices, à nombre limité, étaient positionnés.es devant, mais aussi sur les côtés. Et puis, pas de « scène », d’espace boîte noire, qu’on qualifierait de plus conventionnel, mis à part une partie surélevée directement dans le cœur de l’église. Durant presque toute la représentation, interprètes et spectateurs.rices se côtoyaient intimement, les deux se trouvant au même niveau, et partageant une proximité qui brouillaient les espaces et les frontières de l’histoire et de la représentation, sans même qu’il n’y ait d’interactions directes. Le public s’en retrouvait malgré lui impliqué, se faisant transporter dans cet univers ambigu dès les premières secondes du spectacle. Les interprètes semblaient tous et toutes d’accord pour dire que chacune de leur représentation était unique, s’adaptant oui à l’espace scénique délimité, mais surtout au public, à l’œil qui observe. Les liens se tissent, il y a complicité, on a l’impression de participer avec eux aux déchirements qui se développent comme le fil de la pensée se construit, à la façon du work in progress. Et puis, quoi de plus symbolique que de se trouver à l’intérieur même d’une église afin de poser le germe d’un questionnement et d’une interprétation des Dix Commandements? Plus impressionnant encore que ce lieu et de l’acoustique musical qu’il permet, ni le chorégraphe, ni les interprètes, ne se sont faits écraser par la force de ce lieu, qui, à première impression, peut certainement être intimidant. Ils ont tous su, à leur manière, habiter l’espace humblement, démontrant tous et toutes avec grande sensibilité qu’iels y avaient leur place. Chapeau.

Côté chorégraphie, j’en étais à ma première pièce de Rhéaume : je n’ai certainement pas été déçue, bien au contraire. On y décèle tout de suite, sans même le connaître, un vocabulaire de danse particulièrement riche, qui témoigne d’une maturité artistique très touchante, et qui a dû lui demander, bien au-delà de l’investissement en termes de temps, un énorme investissement de sa personne. Les mouvements, qu’ils soient dans la sobriété, la répétition, l’explosion ou la folie, étaient habilement texturés. De plus, rien ne paraissait avoir été laissé au hasard. Lors des solos, les autres interprètes faisaient tout de même preuve d’agentivité et d’écoute active. On ressentait dans l’atmosphère une ouverture à soi et à l’autre, qui ne peuvent que séduire malgré le poids des tourments. Certains des solos avaient été adaptés pour ce second souffle donné à la pièce, mais le chorégraphe mentionnait que certains éléments s’inscrivaient dans une constante, comme le travail et le mouvement des mains. Cependant, malgré cette gestuelle marquante ainsi que cette identité artistique forte, les interprètes se faisaient quant à eux et quant à elles aussi sentir comme créateurs.rices. D’ailleurs, certains.es d’entre eux et d’entre elles ont insisté sur l’importance du processus créatif dans cette liberté identitaire des danseurs.euses, sans la hiérarchie habituelle du chorégraphe qui transmet son mouvement à l’interprète, comme quoi des liens nouveaux s’étaient aussi développés entre eux et elles, entre eux et elles et le chorégraphe, et entre eux et elles et leur commandement. On le ressentait dans leur manière de délivrer le message et de faire dialoguer leurs commandements, alors que tous et toutes semblaient profondément habités.es et tourmantés.es, le public étant entraîné dans cette espèce de purgatoire personnel et social. On retrouvait dans la performance beaucoup de théâtralité, ou d’emprunts à certains processus cinématographiques. On peut entre autres penser aux jeux de lumière, qui rendaient possible la projection d’ombre des interprètes directement sur le sol, des quatre côtés. Ainsi, on se retrouvait avec la possibilité d’un double regard du mouvement et même de la pensée et des remises en question, comme s’il y avait une face cachée du corps et de l’esprit. C’est le fait de chercher la part d’ombre et de lumière de l’individu qui permettait de multiplier les significations et métaphores possibles des commandements.  Même chose avec la musique, qui, encore une fois, n’étouffait pas les danseurs.euses, mais les accompagnait à merveille et les berçait malgré un ton très grave ou plus dramatique. Passant du violoncelle au piano ou aux percussions plus intenses, la trame me faisait par moments penser, même assez minimalement, à la trame du film Joker  de 2019 ou à la musique des groupes ERA  ou Enya au début des années 2000, en étant cependant plus épurée.

La pièce tire ses sources du vivre ensemble, des codes moraux qui régissent les interactions au sein d’un groupe, mais aussi des limites de la liberté individuelle, de l’apogée du moi, du poids de l’autre, de soi. Tout le travail et les efforts des personnes impliquées dans ce projet on réussit à traduire intelligemment le propos et à créer une pièce historique et universelle, qui propose des codes esthétiques intéressants et une plongée assurée dans son intériorité. L’œuvre de Rhéaume relève du mystique et d’une sensibilité et d’un don de soi sans équivoques. Wow.

 

  1. Illusion– Tu ne te feras pas d’idole.
  2. Interdépenance- Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi.
  3. Distorsion- Tu ne feras pas de faux témoignages.
  4. Acharnement- Tu honoreras le jour du Sabbat.
  5. Appartenance- Honore ton père et ta mère.
  6. Destruction- Tu ne tueras pas.
  7. Intrusion- Tu ne commettras pas d’adultère.
  8. Honte- Tu ne porteras pas de faux témoignages contre ton prochain.
  9. Convoiter- Tu ne voleras pas.
  10. Usurper- Tu ne convoiteras pas ce qui appartient à ton prochain.

Les billets sont en vente sur larotonde.tuxedobillet.com. Représentations jusqu’au 16 octobre 2021 inclusivement.

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