L’encre coule, les affiches s’accumulent, ça sent le pneu brûlé, un peu de café noir pour avaler la mort.
Cassie Bérard
Les spectateurs se lèvent. Troisième salve d’applaudissements. Neuf comédiens décoiffés, rougis par l’intensité du jeu, nous saluent. Et autour d’eux, un tel désordre, des éclaboussures d’encre, d’eau, de peinture, des fruits mutilés, des pneus entassés, des affiches en amas sur le sol. Ça représente la Palestine, ça représente l’occupation, la peur, la mort, la colère. Toute cette violence mise en sourdine par les échos de nos battements de mains. Et de cœur, oui. De cœur.
Philippe Ducros choisit, avec L’Affiche, d’abolir le rideau, «ce qui est amer pousse plus vite que tout… Telle est notre vie, mon fils. Va et ne tarde pas. Et ouvre les rideaux.» Les spectateurs assistent au désespoir d’un théâtre qui se joue: les va-et-vient des comédiens, les changements de costumes, le décor qui bouge, on décide de ne cacher cela qu’à demi, par une obscurité synonyme de poussière, de destruction. «Je ne peux pas faire entrer le soleil, Abou Salem. À moins que tu veuilles que je démolisse la maison de ton voisin. C’est possible, tu sais. Facile, même…» Les oppresseurs, les oppressés, les comédiens nous parlent, là, devant, nous font face. Ils pourraient cracher sur nous, ils pourraient. Et on reconnaît le lustre des larmes aux coins de leurs yeux.
C’est l’histoire des enfants martyrs, dont les visages aboutissent sur des affiches, sur les murs du pays. «Ton frère est mort et toi tu salis nos hommes, tu les dévores. Je vais clouer son affiche sur toi. C’est ça, je vais la clouer. Reste ici. Je vais la clouer sur ta peau de chienne… » Le deuil des parents, la haine qu’ils couvrent, quand il ne reste que le chant des oiseaux dans les cages et la danse pour l’oubli. L’histoire des soldats qui ne comprennent plus pourquoi ils se battent. Dieu qui dicte ses lois, mais quel Dieu? Et le journaliste recueille les témoignages, les désirs de liberté, quand son rôle s’arrête à faire face à l’anéantissement sans pouvoir y faire front. Mais ce n’est pas une histoire.
Ça sent la pastèque quand elle éclate au sol et la musique devient assourdissante. Nous vivons la pièce et c’est ce qui choque: nous sommes le journaliste derrière la caméra, il capte des images, des odeurs. Mais à la fin, il retourne chez lui. Il retourne chez lui, et pourtant, les « guerres ne sont pas terminées. »
Quoi? L’Affiche
Qui ? Texte et mise en scène : Philippe Ducros
Quand? Jusqu’au 2 mars 2013 Où? Au théâtre Périscope