Cette semaine, La Rotonde présentait Élégie II, de la chorégraphe Annie Gagnon, un spectacle «émergeant d’une pulsion vitale de dénoncer la violence» et qui «explore avec acuité les multiples retentissements qu’elle provoque en nous.»
Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts
Interprétation : Cloé Arias, Marie-Chantale Béland, Léa Ratycz-Légaré, Ariane Voineau | Interprète-doublure : Sonia Montminy | Musique sur scène : Jean-Louis Blouin (alto), Raphaël Dubé (violoncelle) et Noëlla Bouchard en remplacement de Michelle Seto (violon) des Violons du Roy
Là où Les jolies choses de Catherine Gaudet faisait dans le tissé serré – autant en ce qui concerne la partition chorégraphique que la dynamique entre les interprètes, dont les cœurs battaient à l’unisson -, Élégie II opte plutôt pour quelque chose de plus sporadique, peut-être, de plus irrégulier, mais dont la force d’éclat n’en est pas pour autant amoindrie. Outre les canons et les réactions en chaîne qui laissent déjà entrevoir les effets d’une violence retentissante et faite d’échos, la pièce et le rythme de ses différents tableaux font en sorte que les interprètes s’expriment parfois en groupe, parfois en simultané de leur côté ou tout simplement à tour de rôle. Il y a là une forme de liberté et d’écoute, aussi, qui non seulement permet de varier en intensité et de leur laisser le temps de souffler – on oublie parfois l’ampleur de l’exercice physique auquel nous sommes en train d’assister -, mais qui témoigne aussi de l’appropriation d’une violence plurielle, plus encore d’un pont se tissant tranquillement entre le collectif et le singulier.
L’ambiance musicale y est d’ailleurs pour beaucoup en ce qui a trait à cette charge émotive, palpable du début à la fin. Nous aurions sérieusement pu croire à une bande sonore tout droit sortie de films de science-fiction ou d’action ou alors d’univers vidéoludiques à la Disco Élysium. La musique n’est pas nécessairement maximaliste, mais rend surtout compte d’une tension narrative, dramatique et émotive, amplifiée par la présence de trois musicien.nes des Violons du Roy. Ce n’est pas tous les jours que nous avons droit à une prestation de danse durant laquelle des musicien.nes accompagnent les danseur.euses interprètes en direct, en plus d’être directement intégré.es à la pièce, faisait, par moments, intégralement partie de l’espace scénique et chorégraphique. Cela participe de manière singulière à la mise en récit ; on s’y sentait d’autant plus investi.es.
Le moment avec la plateforme surélevée et mouvante et les éclairages horizontales semblent le mieux lier les différents éléments qui traversent la pièce, c’est-à-dire l’utilisation d’accessoires, la composition musicale à la fois préenregistrée et jouée, les mouvements, saccadés, compulsifs voir désarticulés et leur interprétation, leur incarnation, et le lien avec le public, à travers un regard soutenu. La plateforme, haute et relativement étroite, poussée par une autre interprète, semble d’une part faire de sa prisonnière une bête de foire, dans une optique de monstration, et, d’autre part, rendre compte d’une forme d’isolation dans la folie et la douleur. Moment fort du spectacle, très intense, il dédouble la posture des spectateur.rices, qui sont témoins de la souffrance tout autant qu’iels y sont plongé.es.
Si l’on peut se questionner sur la signification et l’utilité de certains accessoires à des moments donnés durant la pièce, qui peuvent peut-être alourdir quelques-unes des séquences – après, on pourrait faire tout un parallèle avec le poids de la violence, contrairement à quelque chose qui se serait voulu presque trop fluide, léger, facile – Élégie II s’avère sans aucun doute cathartique. La fin n’est pas satisfaisante en soi en ce sens qu’elle ne propose pas de «résolution», disons traditionnelle, mais nous offre, au contraire, une dernière remontée certes douloureuse, tout en intensité, une dernière seconde au bout du souffle avant que tout n’explose puis ne s’écroule.