La Bordée présente actuellement sa nouvelle production, enfin, pas si nouvelle que ça, puisqu’il s’agit d’une adaptation de l’œuvre de Samuel Beckett : En attendant Godot. Maître de l’absurde, du temps qui passe et critique existentialiste, le dramaturge écossais manie les mots et l’absence de péripéties pour nous forcer à entamer une réflexion sur le monde qui nous entoure.
Par Camille Sainson, journaliste multiplateforme
Le rideau s’ouvre sur un tas de gravier, un arbre dénudé et un fond de couleur pour planter le décor. La machinerie est clairement visible — tentative scénique d’abolir dès le début le quatrième mur ? — , la lumière s’allume progressivement sur nos deux personnages, l’histoire peut commencer. Si vous êtes déjà familiers avec le mouvement de l’absurde, vous savez qu’il s’agit plus de longues réflexions sur la société d’après-guerre et le rapport entre l’homme et la mort que de véritables histoires construites linéairement et tendant vers un but clair et précis. En attendant Godot, c’est une boucle temporelle sans début ni fin où les personnages sont démunis face à l’absence d’une réelle chronologie. Quand les jours et les heures se mélangent, la mémoire faillit et disparaît, l’existence n’a plus de sens. Didi et Gogo ont-ils déjà eu cette conversation ? Depuis combien de temps errent-ils dans ce paysage désolé ? Ils ne sont persuadés que d’une chose : ils attendent, attendent Godot, ou, comme dirait si bien Georges Perec : « attend[ent] jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à attendre : que vienne la nuit, que sonnent les heures, que les jours s’en aillent, que les souvenirs s’estompent. » Attendre, finalement, jusqu’à la fin du monde, la fin d’un monde, celui d’une vie minuscule qui s’oublie petit à petit.

Mais l’attente peut être longue pour le spectateur qui ne se reconnaît pas forcément dans ces personnages. Si l’humour vient raccrocher les wagons, il ne suffit pas à compenser les longs moments de doute et d’incompréhensions. Les dialogues s’enchaînent et se répondent sans cohérence, c’était certes ce que souhaitait Beckett, mais il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, le tout manque un peu d’éclaircissement. Lorsqu’un groupe d’enfants entre sur scène pour créer un moment d’évasion, la couleur de leurs vêtements nous interpelle : représentent-ils un futur idéal ? Une nouvelle génération réparatrice, mais peut-être illusoire ? Nous sortons donc de la représentation avec une multitude de questions.

En attendant Godot, c’est le miroir d’une vieillesse oublieuse, d’un monde qui se délite et s’effrite, de l’impossibilité de prendre des décisions. Mais, nos personnages peuvent-ils vraiment échapper à leur destin ? Peuvent-ils choisir de partir ? Ou ne sont-ils pas condamnés, eux aussi, à mourir quand la vie en aura décidé ainsi ?