Photo : Courtoisie, Stephane Bourgeois

Enflammée par l’espoir

La quatrième pièce de la saison du Trident, Incendies, de Wajdi Mouawad, mise en scène par Marie-Josée Bastien, présentait sa première médiatique le 8 mars dernier coïncidant avec la journée internationale des droits des femmes. Quoi de mieux qu’une pièce sur l’histoire tragique d’une femme forte et déterminée pour souligner l’événement. 

Incendies, créée en 2003 par Mouawad, s’inspire d’une histoire vraie vécue par Souha Becchara, militante qui a été détenue et torturée dans une prison clandestine. Se déroulant dans le sud du Liban, aucune référence n’y fait néanmoins allusion dans la pièce. Faisant partie de la tétralogie Le sang des promessesIncendies est le deuxième volet, précédé par Littoral et suivi de Forêts puis de Ciels. Incendies est la plus bouleversante des quatre pièces, sans doute en raison de ses thèmes plus sensibles et plus proches de nos préoccupations actuelles. Le récit est aussi plus réaliste et vraisemblable que dans les autres opus du cycle. 

Rendu encore plus célèbre grâce à l’adaptation au cinéma de Denis Villeneuve en 2010, Incendies est pour la première fois revisitée au Théâtre du Trident par une grande amie de l’auteur, Marie-Josée Bastien. Elle a réussi avec succès le pari de toucher les spectateurs avec sa vision du texte. La mise en scène de Bastien respecte la poésie et la richesse visuelle que l’on retrouve dans les mises en scène de Mouawad tout en les personnalisant. Ce sont deux éléments cruciaux de l’oeuvre de Wajdi Mouawad que Villeneuve n’avait malheureusement pas pu rendre aussi bien à l’écran.  

La pièce traite d’un sujet lourd et sombre: une mère muette récemment décédée oblige, par ses dernières volontés, ses jumeaux, Jeanne et Simon, à retrouver leur père et leur frère inconnus. Cette quête perturbe ses enfants qui ont une opinion divergente sur la question. Le drame familial qu’ils vivent est intelligemment allégé par l’humour involontaire du notaire, Hermile Lebel, incarné avec conviction par Réjean Vallée. Convaincants, les acteurs ont brillamment réussi à relever le défi d’incarner plusieurs personnages, donnant l’illusion qu’il y avait le double d’acteurs-trices sur scène. 

La tragédie grecque et la plume de Tremblay

L’histoire, se déroulant sur une période d’une quarantaine d’années dans deux pays, alterne dans le temps et dans l’espace, de manière subtile et efficace, au coeur de l’immense décor qui occupe la totalité de la scène. La scénographie de Marie-Renée Bourget Harvey est absolument magnifique, les éléments qui arrivent ou qui quittent la scène le font presque par magie. Le décor, principalement composé de chaises, rend fluide les changements de scènes et de temporalité. Le tout est habilement appuyé par les éclairages et la musique respectivement conçus par Sonoyo Nishikawa et Stéphane Caron. 

Ayant eu la chance de voir le triptyque lors d’une nuit blanche, tout juste avant le dévoilement du dernier opus Ciels au Festival d’Avignon, j’avais quelques réticences à revoir cette pièce qui m’avait plutôt laissé indifférent à l’époque, comparativement à Littoral et Forêts. Le bémol qui m’avait embêté à l’époque: Jeanne était incarnée par une actrice québécoise alors que son jumeau était interprété par un acteur français, un petit détail qui ne se répète pas ici avec les performances de Charles-Étienne Beaulne et Sarah Villeneuve-Desjardins. 

Le texte de Mouawad est une rencontre entre les tragédies grecques, en raison du récit tragique et mythologique, et Michel Tremblay. La parenté avec l’auteur de Les Belles-soeurs, quant à elle, on la retrouve avec l’importance de la figure maternelle dans toute sa force et sa fragilité. Les trois personnages féminins, Sawda, Nawal et Jeanne, sont magnifiquement bien écrits et interprétés. On n’enlève rien aux acteurs et aux personnages masculins, mais ce sont les femmes les plus intéressantes dans cette pièce phare du théâtre contemporain québécois. 

Nul doute que la chaleureuse réception du public jeudi dernier dans la salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre a pu illustrer le vif succès que rencontre cette nouvelle version de cette oeuvre unique! À Québec, nous ne parlerons plus d’Incendies de Mouawad ou Villeneuve, mais bien d’Incendies de Bastien

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