Six ans après La Constellation du Lynx, fresque magistrale sur la Crise d’Octobre, Louis Hamelin nous revient avec Autour d’Éva, roman foisonnant qui se déploie au cœur de l’immense forêt abitibienne et pose un regard à la fois tendre et sévère sur les hommes et les bêtes qui s’y agitent. Impact Campus a rencontré l’écrivain.
Autour d’Éva est un roman du nord, profondément ancré dans la nature et dans le territoire. Louis Hamelin le déclare d’emblée : après les nouvelles de Sauvages et les quelques chapitres de La Constellation du Lynx, il y avait encore un « roman abitibien » qui l’habitait. Cette Abitibi, le lecteur la découvre par l’intermédiaire d’Éva, une fille de Maldoror qui, au début des années 2000, revient dans son patelin natal après avoir coupé les ponts pendant plus de dix ans. Elle investit alors le chalet paternel, situé sur les bords, encore en grande partie sauvages, du lac Kaganoma pour se « donner du temps » et n’y rien faire.
Ambitieux objectif, promis à un lamentable échec. C’est que Lionel Viger, « le Lion de l’Abitibi », homme d’affaires et lobbyiste aussi influent que spectaculaire, a des projets pour le Kaganoma : vendre son silence et en faire un Tremblant-bis. Dan Dubois, acteur, réalisateur et riverain, véritable Roy Dupuis showman et extraverti, mène la résistance. Amoureuse du lac comme de l’homme, Éva s’engage à ses côtés. Le tout sous le regard indécis de son père, Stan Sauvé, rédacteur omniscient et polyvalent du Colon, le journal local.
La nature et le progrès
Voilà pour l’histoire. En son cœur : l’Abitibi et sa nature sauvage, que se disputent les deux clans. « Je voulais vraiment raconter une bataille entre écologistes et promoteurs immobiliers, explique Louis Hamelin. J’avais envie de parler de mon expérience dans le mouvement environnementaliste québécois. Entre autres, quand j’étais moi-même en Abitibi, j’avais participé comme ça à la lutte pour la création d’aires protégées en forêt. Je portais ça. »
Autour d’Éva, c’est donc le récit d’un affrontement entre deux visions du monde. D’un côté, « les partisans du développement, qui croient que la nature doit absolument servir à quelque chose, servir à l’humain ». De l’autre, « le camp des Dan Dubois et compagnie, qui croient que la nature mérite d’être préservée en soi, en tant que telle ». Entre les deux, les incertains et les indécis, incarnés dans le roman par l’attachant Stan Sauvé.
L’écrivain et le militant
L’auteur ne fait pas de mystères sur sa position : il campe résolument du côté des environnementalistes. Malgré tout, cette lutte, Louis Hamelin souhaitait la mettre en scène. « Dans un roman, je ne peux pas prendre parti. C’est aux personnages de régler la chose. Un bon roman ne peut pas être manichéen », expose-t-il.
À ce titre comme à bien d’autres, le livre est totalement réussi. Jamais le militant ne prend le pas sur l’écrivain. Et quel écrivain ! Tant Lionel Viger que Dan Dubois, tant les écologistes que les farouches partisans du développement en prennent pour leur rhume : la plume truculente mais intelligente, recherchée mais formidablement vivante de Louis Hamelin les croque dans toutes leurs contradictions et leur démesure, sans jamais nier leur profonde humanité.
Autour d’Éva, c’est tout à la fois une fable écologiste, une histoire d’amour et le récit d’une réconciliation entre un père et sa fille. C’est aussi, beaucoup, une « parabole politique », une « réflexion sur le pouvoir, sur la proximité de l’argent », explorée par l’intermédiaire de Lionel Viger et de ses liens avec le Parti québécois. Au final, le combat qu’il raconte, c’est aussi celui « de la forêt souveraine, qui repousse elle-même l’envahisseur ».
L’homme et la nature
Comme le rappelle Louis Hamelin, sourire en coin, « l’être humain n’est qu’une espèce parmi d’autres, mais une espèce un peu invasive… ». C’est là l’un des principaux enseignements de l’histoire d’Éva. « Dans son séjour là-bas il y a une progression, d’une approche qui n’est pas au départ très contemplative, mais plutôt utilitaire – elle va courir, faire du vélo, elle utilise la forêt – elle va finir par être touchée par ce qu’il y a autour d’elle », conclut l’écrivain. Preuve que l’humain, de temps à autre, sait encore apprécier la beauté.
Louis Hamelin, Autour d’Éva, Les éditions du Boréal, 419 pages.
Notre avis : 4,5/5