C’est la semaine dernière que prenait fin le Carrefour international de théâtre. Fidèle à sa volonté de rendre les arts vivants accessibles à toustes, le festival propose non seulement une riche programmation de spectacles, mais aussi des événements extérieurs – dont le désormais incontournable parcours déambulatoire Où tu vas quant tu dors en marchant…? – ainsi qu’une foule d’activités destinées à divers publics. Parmi celles-ci, les chantiers, ces « oeuvres scéniques en cours de création », ont particulièrement retenu l’attention d’Impact Campus cette année.
Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), journaliste multiplateforme
Ces chantiers nous rappellent que l’accessibilité, au coeur de la mission du festival, ne concerne pas seulement les specateur.rices, mais s’étend aussi aux créateur.rices. Pour celleux qui ne seraient pas encore familier.ères avec la formule, chaque chantier se conclut pas une « période d’excavation », un temps d’échange entre les artistes et le public. « Ce dialogue favorise l’évolution de leur travail, donne un nouveau souffle à leurs questionnements et les oriente dans les futures étapes de création », peut-on lire sur leur site du Carrefour. Cette année encore, les artistes des chantiers en étaient toustes à différentes étapes du processus créatif – et c’est ce qui fait toute la richesse de l’expérience.
Parmi les oeuvres explorées :
- Vagues à l’âme (Léa Bernier), une proposition chorégraphique émouvante dans laquelle les interprètes explorent ensemble la nostalgie, certes, mais aussi le deuil. La danse, qui permet de combler le manque en recréant une forme de contact, nous invite en plus à envisager autrement leur narration et à repenser notre manière même de lire une oeuvre scénique. Les mouvements s’inscrivent plus dans un ressenti que dans une compréhension très littérale, de sorte que l’on puisse encore plus s’approprier les thématiques abordées.
- Perdre la face (texte de Lauréanne Dumoulin et mise en scène de Véronika Makdissi-Warren), plonge le public dans une expérience universelle – celle de la maladie – à travers une multiplicité de points de vue et de formes. Lauréanne a d’ailleurs questionné les spectateur.rices à ce sujet, mais la plupart semblaient être d’accord sur le fait que l’originalité de l’oeuvre tient à ces angles de lecture, facettes permettant d’amener les thématiques exploitées à un autre niveau.
- La Grande Brassée (production du Collectif Inattendu, co-créé par Cécile Mouvet et Jade Builles) surprend quant à elle par son ingéniosité – et pour une semaine de création tout au plus, nous avons eu droit à un dispositif technique déjà complexe permettant de créer des images fort évocatrices. La performance s’élabore en collaboration avec le public, dont on sollicite, du début à la fin, la participation, laissant même place à quelques moments de complicité comiques. Cette expérience unique ludique et poétique saura certainement captiver lorsque fin prête à être présentée (dans des espaces non-scéniques, d’ailleurs !).
Mais parmi les oeuvres scéniques auxquelles Impact Campus a eu la chance d’assister, c’est cependant LES JUSTES – LA LECTURE CLANDESTINE qui, peut-être, nous aura le plus marquées. On peut, à juste titre (!), questionner la nécessité et la pertinence de remettre au goût du jour certains classiques, dont les relectures ne sont en plus pas toujours bien menées ou relevant du fétichisme, tout simplement. De même, on se réjouira toujours des réactualisations féministes qui multiplient les voix en marge, permettent de se réapproprier les récits et l’Histoire avec un grand H dans une optique d’empouvoirement et de dé/recentrement des perspectives. Mais réussissent-elles toujours véritablement à renouveler les oeuvres et les discours qu’elles portent ?
Dans ce cas-ci, nous sommes tentées de répondre par l’affirmative, d’autant plus lorsque l’on tient compte du contexte sociopolitique actuel marqué par la montée de la pensée conservatrice réactionnaire de droite qui attaque les droits des femmes et des personnes queer de toutes parts. Face à ces reculs, il fait bon assister à de telles réappropriations critiques. Car ce qui frappe particulièrement dans cette lecture clandestine des Justes, c’est qu’elle redonne aux femmes et aux personnes queer un espace de colère noire, militante, radicale et assumée. Trop souvent, l’imaginaire révolutionnaire – celui de la violence politique, du sacrifice, de la lutte armée – reste encore un territoire masculin. Ici, ce ne sont plus seulement les hommes qui portent cette révolte et cette intransigeance jusqu’au bout – non pas pour les édulcorer, mais les vivre pleinement – et qui revendiquent le droit d’être prêt.es à tout pour changer le monde. Et cela fait du bien : à l’heure où l’on exige encore des femmes qu’elles soient conciliantes et mesurées, où les discours dominants cherchent trop souvent à restreindre les formes légitimes de la colère dite féminine, cette salutaire réappropriation d’une indignation totale rappelle qu’elles et iels sont aussi capable de révolutions. Le jeu des interprètes était en plus percutant, et la mise en lecture, aboutie. Puis comme l’ont souligné plusieurs spectateur.rices lors de la période d’excavation, le lieu lui-même – un espace clandestin – contribuait grandement à l’expérience et à la résonance du propos. Ça nous aura finalement émues.
Pour celleux qui aimeraient en savoir davantage sur cette édition du Carrefour international de théâtre, il vous est possible de réécouter les entrevues menées par nos collègues Noémie Fontaine et Élyse Riverin, de CHYZ 94.3, avec des artistes des chantiers.
De même, vous trouverez un segment à propos du parcours déambulatoire Où tu vas quand tu dors en marchant…?. Bonne écoute !