Festival Plein(s) Écran(s) 2022 – Revue du 12 au 14 janvier

Du 12 au 23 janvier se tiendra en ligne la sixième édition du Festival Plein(s) Écran(s). Le concept est simple : vous aurez l’occasion de visionner quatre courts-métrages par jour, ces derniers étant disponibles pendant 24h. C’est donc plus d’une quarantaine de films qui seront présentés durant le festival. Pour l’occasion, nous vous présenterons tous les courts-métrages proposés jusqu’à la fin de l’événement, que nous ponctuerons de nos réflexions. Fictions, documentaires, films d’animation… différentes visions du cinéma se conjugueront pour offrir une pluralité de propositions, où toustes pourront y trouver leur compte. Nous vous encourageons grandement à y jeter un coup d’oeil : c’est un événement important, qui contribue à la démocratisation de l’art cinématographique.

Pour participer au Festival Plein(s) Écran(s), rien de plus simple : l’événement est gratuit et disponible à toustes. Vous n’avez qu’à vous rendre sur leur page Facebook ou Instagram. Sinon, sachez que les courts-métrages seront disponibles directement sur leur page web : https://pleinsecrans.com/

Par William Pépin, chef de pupitre aux arts

12 janvier : « On peut réparer les erreurs du passé »

Joutel (15 minutes) – Film d’ouverture

Réalisation : Alexa-Jeanne Dubé | Distribution : H264 | Fiction

Synopsis : Alors que Gérard trouve un raton laveur mort sur le terrain de sa maison, le vieil homme se retrouve étrangement bouleversé et confronté à sa propre disparition. Obsédé par la carcasse, Jocelyne sent le désespoir de son homme grandir, un sentiment qui résonne curieusement chez elle. Après une nuit de réflexion, ils décident d’aller enterrer le raton laveur sur le terrain de leur ancienne demeure à Joutel, une ville minière fantôme fermée depuis 1998. Une fois sur les lieux, ressemblant davantage à des ruines aux allures de forêt boréale, Jocelyne plonge dans une nostalgie profonde. C’est là, lors d’un pique-nique morbide pour enterrer la bête, qu’ils feront la rencontre d’un être mystique qui les mènera à faire la paix avec leurs démons intérieurs.

Avis : Joutel nous parle du passé, de la mémoire et de la peur de mourir lorsque la vieillesse s’impose sans crier gare. Marie Tifo, Pierre Curzi et Peter James impressionnent par leur jeu complémentaire, tantôt comique, tantôt déchirant. Alexa-Jeanne Dubé sait manier des thématiques complexes avec maturité, sensibilité et maîtrise, mais surtout, dans un temps très court : en à peine 15 minutes, elle réussit à encapsuler l’ombre cauchemardesque qui nous guette au crépuscule de la jeunesse, tout en conservant une part de lumière. Une dorure qui nous permet d’adoucir l’inéluctable.

Monsieur Cachemire (16 minutes)

Réalisation : Iouri Philippe Paillé | Distribution : Travelling | Fiction

Synopsis : Un homme mystérieux et excentrique rend visite à un banquier pour lui demander un prêt insolite et lui faire revivre de sombres secrets du passé.

Avis : Là où beaucoup ont échoué, Samuel Cantin réussit, avec son scénario, à manier la délicate alchimie entre absurdité et sérieux, entre la vraisemblance d’une intrigue loufoque et ses rebondissements, qui ont le mérite d’être étonnants. Si, à mon sens, tous les flashbacks ne sont absolument pas nécessaires et que le court-métrage aurait eu avantage à être amputé de quelques minutes, il n’en demeure pas moins que Monsieur Cachemire cristallise la naissance d’un personnage marquant – campé par le toujours brillant Antoine Vézina –, personnage que l’on pourrait aisément rencontrer à nouveau dans un tout autre projet. Iouri Philippe Paillé met en scène un univers unique que l’on verrait sans problème adapté à un format télévisuel.

Y’a pas d’heure pour les femmes (19 minutes)

Réalisation : Sarra El Abed | Distribution : Travelling | Documentaire

Synopsis : Tunis, novembre 2019. Des femmes sont rassemblées chez Saïda la coiffeuse, à l’aube des élections présidentielles. Le salon est transformé en place publique, miroir de l’agitation interne du pays. Dans ce huis clos féminin, on découvre l’adolescence démocratique du pays.

Avis : Si Y’a pas d’heure pour les femmes prouve une chose, c’est que la démocratie n’est pas quelque chose d’acquis, qu’il faut se battre pour elle. Sarra El Abed filme toutes ces femmes qui se soucient, non pas de leur sort, mais de celui des générations futures, de cette jeunesse qui peine à vouloir s’exprimer démocratiquement. Nous avons affaire à un métrage d’une grande authenticité, parfois désespérant, souvent cacophonique, mais surtout fidèle à une réalité que l’on présente rarement avec un tel souci de justesse et d’amour pour ces femmes inquiètes, courageuses et combatives.

Au Placard (3 minutes)

Réalisation : Vivien Forsans | Distribution : Indépendant | Animation

Synopsis : France, 2012. Un jeune ado confie un secret intime à son amie, mais va vite le regretter en regardant le journal télévisé.

Avis : C’est toujours impressionnant de constater qu’en si peu de temps, un cinéaste peut traiter d’aussi grandes thématiques que celles de l’acceptation, des préjugés et de la peur de vivre dans un monde où, hélas, la haine nous emprisonne dans ce placard étanche, anxiogène et injuste. Vivien Forsans a du talent : Au Placard est non seulement une démonstration des préjugés qui règnent dans nos sociétés en rapport à l’homosexualité, mais également un exercice pédagogique percutant. Le cinéma enseigne.

 

13 janvier : Lorsque tout nous unit

Comme une comète (23 minutes)

Réalisation : Ariane Louis-Seize | Distribution : Travelling | Fiction

Synopsis : En voyage pour observer les étoiles filantes, Chloé, une adolescente taciturne, se découvre une fulgurante attirance pour le nouveau chum de sa mère.

Avis : Si on laisse de côté les clichés qu’apporte la relation mère/fille à l’histoire, vus et revus mille fois ailleurs, on risque de trouver la proposition d’Ariane Louis-Seize intéressante, voire captivante. En effet, ici, la relation beau-père/belle-fille est bien plus centrale et subtile, mais surtout grinçante de sincérité: ça dérange. Le rite initiatique adolescent n’aura jamais été aussi ambigu qu’avec Comme une comète, le jeu de Marguerite Bouchard et Patrick Hivon apportant beaucoup à cette alchimie malsaine. On voyage, certes, sans toutefois quitter les personnages du regard : le paysage, c’est eux.

Fragments (18 minutes) – Coup de cœur

Réalisation : Aline-Sitoé N’Diaye | Distribution : Black Wealth Media | Fiction

Synopsis: Dotée d’une grande imagination, la jeune Mery-Rose nous transporte dans son univers, ses discussions avec son grand-père et son apprentissage de la vie.

Avis : Avec Fragments, je ne pouvais faire autrement qu’écrire ces lignes les yeux humides. C’est définitivement mon coup de cœur de cette première revue : Aline-Sitoé N’Diaye sait manier la beauté avec une sensibilité rare, mais surtout une grande maturité, à laquelle on doit la solidité de cette proposition. Fragments restera avec moi encore longtemps et j’espère qu’il vous fera le même effet lors de votre visionnement. Je n’en dis pas plus : foncez.

Le danger en face (17 minutes)

Réalisation : Alexis Chartrand | Distribution : H264 | Fiction

Synopsis : Alors qu’il observe la vie à l’extérieur de sa boutique, un barbier croit apercevoir celui qui en veut à sa vie et à sa famille. Confronté au danger imminent, le barbier décide de réagir.

Avis : Jusqu’à présent, de tout le festival, c’est sans doute le film où la mise en scène est la plus créative. Pendant une quinzaine de minutes, Alexis Chartrand nous tient en otage dans la tête d’un fou, accumulant les scènes chaotiques dans des décors cartonnés à l’arrière-goût de vieux Far West. Même si on peine à bien interpréter l’alchimie que le réalisateur tente de créer entre drame et humour noir, l’impression qu’on tire de ce danger en face est un sentiment de dynamisme, une sorte d’adrénaline en sourdine qui plaira à tout amateur du genre.

I created memories (3 minutes)

Réalisation : Sammy Gadbois | Distribution: Wapikoni | Documentaire

Synopsis : Sammy Gadbois se sert de moments croqués sur le vif pour s’interroger sur son but sur terre. Et si c’était de créer des souvenirs?

Avis : Avec cette expérience sensorielle, Sammy Gadbois nous présente ses mémoires et se questionne quant aux limites de la nostalgie, du lègue et des souvenirs que nous conservons. Ici, la caméra devient l’appendice de l’hippocampe, refuge des souvenirs et véritable extension de la mémoire collective. Outre la beauté et l’émotion qui se dégagent de I created memories, Sammy Gabdois, volontairement ou non, pose de véritables questions qui mériteraient d’être détaillées dans ses œuvres futures.

 

14 janvier : « Je mérite la lune »

Catcalls (2 minutes)

Réalisation : Anna Berezowsky et Laura Stewart | Distribution : Indépendant | Animation

Synopsis : Exploration du harcèlement de rue à l’aide de chats, de chiens et de vraies phrases que des humains ont dites à d’autres humains.

Avis : Il serait inutile pour moi de détailler les thématiques de ce Catcalls, tant le film parle de lui-même. L’impressionnant travail d’Anna Berezowsky et de Laura Stewart permet de présenter une problématique de plus en plus décriée, soit celle de ces hommes qui, croyant que tout leur est dû, « catcall » les femmes dans la rue, comme si ces dernières n’attendaient que ces sifflements obscènes pour tomber sous leur charme. Le sérieux du sujet se marie d’ailleurs à merveille avec l’esthétisme de la proposition, nous rappelant l’âge d’or de la stop motion.

 

ÉCUME (28 minutes)

Réalisation : Omar Elhamy | Distribution : Les Films du 3 Mars | Fiction

Synopsis : Au plus fort de la canicule, le temps se dilate pour les travailleurs d’un carwash. L’un d’eux, Hakim est de retour au boulot après un séjour en prison. Ce qui devait être une chaude journée de retrouvailles se transforme en une ruée cauchemardesque.

Avis : Bien qu’ÉCUME s’inscrive clairement dans l’héritage de La haine de Mathieu Kassovitz, le court-métrage d’Omar Elhamy réussit à s’en affranchir pour présenter une histoire bien à lui. Alors que nous pourrions nous attendre au cliché d’une antagonisation archétypale de l’homme d’affaires milliardaire contre les pauvres gens, ici, ce qui nous intéresse, c’est plutôt la relation entre les employés d’un lave-auto et leur ancien patron, une relation bien plus réaliste et subtile pour traiter de ces thématiques conflictuelles. Si le film peine à rythmer sa deuxième partie, la fin permet de resserrer l’intrigue, non sans laisser les spectateur.trice.s avec une sensation d’injustice prise au fond de la gorge.

Lune (15 minutes)

Réalisation : Zoé Pelchat | Distribution : H264 | Fiction

Synopsis : Babz Dubreuil, une ex-détenue esseulée, mais attachante, travaille comme cuisinière dans un restaurant à déjeuner en banlieue de Montréal.  Malgré sa conduite exemplaire, elle lutte pour retrouver sa place dans la société.  Sous les encouragements d’un collègue exubérant, elle trouve le courage demander à un client séduisant d’aller dans un rencard. C’est peut-être le début de la rédemption.

Avis : C’est cliché à dire, mais voilà: tu sais que les acteur.trice.s sont excellent.e.s quand tu n’as pas l’impression qu’iels jouent. Les prestations de Joanie Martel et Alexandre Lavigne sont, à ce jour, mes deux coups de cœur. Le talent de réalisatrice de Zoé Pelchat est également à souligner : c’est l’une des propositions du festival où la mise en scène est la plus astucieuse, où l’image en elle-même fait sens, indépendamment du dialogue. Lune ne dit pas, il montre, le tout dans une beauté où il est difficile de perdre son sourire, aussi grinçant soit-il. Je suis attaché.

Soir de semaine (2 minutes)

Réalisation : Rachel Samson | Distribution : Indépendant | Animation

Synopsis : Soir de semaine est une soirée pyjama animée faite d’observations dessinées évoquant des sentiments d’exaltation, d’humour et d’intimité propres à ces soirées.

Avis : Je viens tout juste de terminer un marathon des Expendables et je ne pouvais rêver mieux que Soir de semaine pour redécouvrir ce qu’est le bon goût (même si je ne peux nier mon amour pour Stallone). C’est beau, c’est doux, c’est apaisant. Dans l’espace d’un tout petit deux minutes, Soir de semaine nous parle d’amitiés, de routine et de chaleur humaine. Le talent d’animatrice de Rachel Samson est indéniable : sa patte artistique me rappelle ces soirées où je visionnais Adventure Time avec des ami.e.s, soirées marquées par le rire, la bonne humeur et le sentiment de voir naître des amitiés indélébiles.

Photos: Fournies par Plein(s) Écran(s)

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