L’auteur-compositeur-interprète Guillaume Beauregard lancera le 12 octobre prochain son deuxième album solo, Disparition, sous l’étiquette La Tribu. Impact Campus s’entretient avec l’ancien Vulgaires Machins, qui troque sa pédale de distorsion et son écriture politique pour la réverbération et la vulnérabilité d’une critique sociale toute au je.
Ton petit dernier remonte à 2014, peux-tu nous parler un peu des quatre dernières années pour toi, de ce qui a mené à Disparition ?
G.B. : Déjà quand le premier album est sorti, j’ai été occupé pas mal, il y a eu comme un bon deux ans et demi de tournée et de promo autour de ça. L’idée d’écrire était un peu sur le backburner si tu veux, je savais que je ferais d’autres tounes à un moment donné, mais c’est vraiment dans les deux dernières années que je me suis penché là-dessus. Je ne suis pas quelqu’un qui travaille en tournée vraiment, un matin je me suis levé et j’étais comme « ok, je vais faire un autre album ». Je suis très structuré, ce n’est pas comme une affaire qui mijote. J’ai besoin de faire juste ça quand j’écris on dirait, sinon ça avance pas.
Tu t’es entouré de Gus Van Go et Werner F. pour cet album, enregistrement live full band à New York. Parles nous un peu de la production de Disparition.
G.B. : Notre idée c’était d’aller encore plus loin dans la philosophie du premier album qui était presque live, mais qui n’a pas pu l’être complètement, du moins pas autant qu’on voulait, pour des raisons logistiques, financières et autres. Cette fois-ci on a vraiment peaufiné notre approche, on a trouvé les meilleurs musiciens qu’on ne pouvait pas trouver. On n’a pas permis à personne d’écouter les tounes que j’avais écrites avant d’arriver en studio, parce qu’on voulait que ce soit le plus spontané possible, le plus naturel. On s’est trouvé un plus grand studio pour que ce soit vraiment live pour vrai. Tout le monde joue ensemble. On fait les arrangements tous ensemble, on enregistre tout et quand on a une prise qu’on aime, la toune est finie. Tout a été fait en six jours, sauf les cordes et les cuivres. L’idée, c’était ça depuis le premier album, mais on a essayé d’aller encore plus loin dans cette démarche là pis de vraiment aller au bout de notre concept, de fermer la boucle par rapport à cette envie-là de juste, ne pas passer des mois à réfléchir et à enregistrer, de prendre une toune dans son plus simple appareil, puis avec des musiciens qui en ont beaucoup vu et qui comprennent la direction un peu, les influences, ben ça se fait finalement de façon très naturelle. C’est presque de la magie. Ça a été une super belle expérience.
Le mix de cet album et de ton premier donne un peu l’impression d’être dans ta bulle. Peux-tu nous parler de l’environnement musical que tu essaies de créer ?
G.B. : Ben tu sais, c’est des essais et des erreurs aussi. Sur le premier album, on a souvent doublé ma voix, on essayait des affaires. C’était vraiment un choix, mais là on avait envie de quelque chose de beaucoup plus naturel. J’ai invité aussi des gens à chanter pour ne pas que ce soit ma voix en surimpression comme c’était le cas beaucoup sur le premier album. Je continue de découvrir plein de nouvelles choses depuis une dizaine d’années, parce que je n’ai écouté essentiellement que du punk-rock jusqu’à temps d’avoir trente ans. J’ai tellement écouté d’affaires qui pour la plupart, même si je connaissais, c’étaient des découvertes, car tu approfondies plus cette écoute là. Tranquillement, je fais mon éducation musicale un peu en l’intégrant dans la musique que je fais aussi. Y’a beaucoup de magie. C’est comme ça qu’il faisait aussi les albums dans les années 60-70, ce n’était pas des bands qui jammaient pendant 6 mois, c’était des super bons musiciens, et ça se faisait relativement spontanément. Toute l’époque motown, c’était des bons musiciens qui jouaient les tounes et qui faisaient ce qui était naturel de jouer en fonction de la composition, et c’est cette approche là que je voulais, tant avec les voix qu’avec les arrangements musicaux.
Tu as longtemps écrit sur des sujets politiques, maintenant tu travailles des sujets très proches de toi, quelle est la principale différence entre les deux ?
G.B. : Étrangement, il n’y en a pas tant que ça. C’est sur que je trouve ça plus difficile, plus impliquant de faire des tounes qui ont un aspect plus personnel. Ça demande plus de « courage ». Dire dans une toune : « la société c’est de la marde », oui, il faut que tu l’assumes, mais ce n’est pas un truc qui est profondément personnel. Pour moi ce qui est important quand je fais de la musique et quand j’en écoute, c’est de sentir qu’on me parle, qu’il y a une démarche qui est sincère, qui est vraie. Je pense que c’est ça ultimement l’engagement absolu. Ce n’est pas nécessairement d’avoir une opinion qui est politique ou sociale, mais d’écrire avec une implication personnelle, de s’engager, peu importe c’est quoi la direction au niveau des textes, que ce soit politique ou personnel. C’est ça qui rend la musique que j’écoute intéressante, ce sont ces artistes-là que j’écoute. Lorsque je sens qu’ils sont impliqués et qu’ils vont au bout de leur démarche, qu’on n’est pas dans un feu d’artifice ou dans quelque chose qui n’est pas incarné. J’ai tout le temps écrit de même, et j’ai tout le temps cherché à être le plus sincère possible, à ne pas prendre ça à la légère. Après, des fois ça donne des affaires un peu lourdes, mais c’est comme ça que j’écris, c’est comme ça que je suis artistiquement, puis j’embrasse ça sans honte et sans gène.
Les textes de l’album sont plutôt introspectifs, tu sembles avoir remis en question certaines certitudes, être dans un moment de gris, en attente d’une direction. Cherche tu à croire à des «illusions inutiles» ?
G.B. : Je ne sais pas, je pense que les remises en question, j’ai tout le temps été là-dedans un peu. Peut-être que maintenant j’en parle un peu plus dans les tounes. J’essaie de ne pas prendre les choses pour acquis, autant dans ma vie personnelle qu’à travers la musique, j’essaie d’être critique par rapport à moi-même, par rapport au monde qui m’entoure. Parce que j’ai choisi d’en parler dans les tounes, j’ai peut-être l’air plus tourmenté mais je ne le suis pas plus que je l’ai toujours été. Je suis quelqu’un qui se pose des questions et qui se remet en question, fait que je ne pense pas que ça ait changé en vieillissant nécessairement. Après, je pense que le fait d’avoir passé vingt ans à écrire des chansons engagées politiquement, puis d’arriver vingt ans plus tard avec une saturation de tout ça, une saturation de l’appareil politique et de la société, avec les élections qu’on vient de passer tout ça, je pense qu’à un moment donné il y a ça qui est nouveau, une perte d’espoir, pis une perte de sens là-dedans, l’impression d’être pris dans une affaire dont on ne se sortira jamais. Je trouve que dans le fait de se permettre d’évoquer cette disparition là de l’espoir des fois, y’en a de la lumière là-dedans parce que, je pense qu’on est nombreux à perdre espoir à un moment donné. On est nombreux à faire : « on est plus capable d’entendre ça », pis on ne trouve plus de solution, et on ne sait plus quoi faire individuellement. On vient qu’à voir le futur et l’avenir de façon très morose. De se donner le droit de l’exprimer ce sentiment là, il y a quelques choses de positif là dedans, d’être capable de s’identifier et de prendre conscience de la merde dans laquelle on est, et du fait qu’il y a beaucoup de monde qui ne croient plus au système et qui ne croient plus à la façon dont on vit nos vie, ici au Québec et ailleurs. C’est ça qui ouvre la porte pour un changement à mon avis, entre autres. Ce n’est pas juste ça, mais moi ça me fait du bien d’entendre du monde dire : « c’est de la marde, pis j’y crois pu à ce parcours là », ça me fait du bien parce que je me dis que je ne suis pas tout seul, et si on arrive à cette conclusion là à quelque part, c’est qu’on a envie d’un changement, puis on est conscient que ça en prend un, pis plus que de passer du Parti Libéral à la Coalition avenir Québec, un changement fondamental dans nos façons de vivre, pas juste un changement de parti.
Avec l’élection de lundi, je ne peux pas passer à côté de celle là, as tu « voté comme un pauvre chiotte » ou t’es tu « torché avec ton vote» ?
G.B. : Mes deux options ne sont pas trop reluisantes. [rires] Mais oui, j’ai voté. J’ai voté pour Québec Solidaire parce que, oui je suis cynique, mais ce parti là me rejoint pareil. Après ça, à court, moyen, long-terme, c’est tu une affaire qui marche ? C’est tu une affaire qui se peut ? C’est tu une bonne idée ? Je ne le sais pas, mais dans l’immédiat, non seulement selon mes valeurs à moi, c’est le meilleur choix, mais aussi c’est que, tsé j’y crois dans une certaine mesure à ce mouvement là, pis j’espère que ça puisse fleurir et que ça puisse donner des résultats. Pour moi, en ce moment, ça c’est une meilleure option que de me torcher avec mon vote.
Vulgaires Machins disait souvent que Stephen Harper était le démon, qu’est-ce que Guillaume pense de François Legault ?
G.B. : Ben tsé, je ne sais pas. [rires] C’est vrai que j’ai dit ça. Je ne sais pas. Je me permettrais plus de nuances, peut-être, aujourd’hui. Il y a quelque chose de délivrant pis de le fun de traiter le monde de démons dans la vie, mais moi je m’en crisse un peu de Legault. Moi c’est quelqu’un qui ne me parle pas, qui ne me rejoint pas dans mes valeurs, quelqu’un qui pour moi a tout à prouver, c’est quelqu’un qui a l’air de, tsé la toune de Propaghandi [NDLR : State Lottery] qui dit « Does it seem strange to you, the confetti the balloons », quand quelqu’un gagne les élections pis que c’est la grande célébration, moi je me méfie de ça. De toute façon, le programme de la CAQ, tsé moi le centre-droit là, je suis un peu allergique à ça. Je suis un peu allergique au centre, je suis un peu allergique au consensus pis on dirait que la CAQ, comme bien d’autres partis, incarne cette affaire là, puis je suis tanné de ça, je suis tanné du statu quo pis du grapillage de niaisage de on va remettre de l’argent dans les poches des citoyens, des espèces de discours vides de, on va vous faire sauver 50$ par semaine, je trouve qu’on est mou pis qu’on n’a pas de vision, qu’on n’a pas de volonté réelle de changement on dirait en ce moment. De se sortir de ce discours-là un peu facile qui s’adresse à la classe moyenne qui veut plutôt protéger ses acquis que de se poser des questions fondamentales sur l’avenir. Mais pour répondre à ta question, Legault, je m’en torche. Je ne sais pas si c’est le démon mais je m’en torche un peu.
Avec les VM, vous avez chanté contre l’industrie qui vous supportait, contre le fait de « chanter pour les sourds», es-tu en paix aujourd’hui avec ces contradictions ?
G.B. : Un peu plus je pense. Il y avait des frustrations avec les Vulgaires, de temps en temps, par rapport au fait d’avoir l’impression d’être – je ne veux pas utiliser un mot qui est trop gros pour la réalité – «marginalisé» par l’industrie. On a toujours été un band punk qui revendiquait, on a toujours été relayé un peu au second rang parce que ça dérange. Moi j’ai senti ça tout le long de notre carrière. Quand on a sorti Compter les corps, il y a eu comme un succès radio, tout ça. Ça a changé un peu la perception que le monde avait de notre groupe. On a toujours eu énormément de succès, à mon avis, dans le contexte, puis l’industrie n’a jamais tant reconnu ça. Aujourd’hui je fais de la musique qui est comme 1000 fois plus accessible avec des textes qui sont aucunement choquant, pis tsé, le succès que je fais, je ne peux pas en vouloir à personne. Que ça marche ou que ça ne marche pas, je fais ce que j’ai le gout de faire pis après ça le monde aime ou non. Il n’y a plus de dimension politique au fait que ça joue à la radio ou que ça ne joue pas, d’être invité à Tout le monde en parle, d’on va à l’Adisq ou pas, je n’ai plus de raison d’en vouloir à personne. Pis ça, ça change un peu la perception de l’industrie. L’industrie, c’est la même, c’est juste qu’en étant en solo, j’ai un rapport différent avec l’industrie. Moi aussi j’ai besoin de gagner ma vie pis je suis content que ça joue à la radio. Ma toune a été entendue, pis je fais un peu d’argent avec ça, puis je suis bien content. Je ne suis pas à un paradoxe près. Mais avec mon projet solo j’en ai pas de compromis à faire, je n’en fais pas parce que ça ne me tente pas d’en faire. Avec les Vulgaires, on nous demandait d’en faire des compromis souvent, pis on en faisait pas, fait qu’on se donnait le droit de dire ce qu’on voulait sur l’industrie. À partir de ce moment là, si tu ne fais pas de compromis, tu peux envoyer chier qui te veux.
Dans les textes de Requiem pour les sourds – à votre dernier show au Rockfest, l’épuisement était palpable – est-ce que Vulgaires Machins est maintenant une plaque à l’hôtel de ville de Granby ?
G.B. : Premièrement, on a jamais annoncé la fin des Vulgaires, parce que de toute façon on ne l’annoncera jamais non plus. Tous les bands rock de ma génération, y’ont toute annoncé la tournée d’adieu pis ils sont revenus faire des shows parce qu’à un moment donné, y’en a pas de raison de ne pas revenir. On a pas arrêté de faire de la musique parce qu’on était en chicane ou parce que la moitié du band est mort dans un accident d’avion. On a pris une pause parce qu’on était rendu là dans notre cheminement. Prendre des distances par rapport à ça, du recul, s’assurer qu’on fait les choses pour les bonnes raisons. Ça fait énormément de bien d’arrêter mais je serais très très surpris qu’on ne refasse pas quelque chose à un moment donné. Je ne sais pas quelle forme ça va prendre, mais que ce soit un show ou des nouvelles tounes, pour moi c’est sur qu’il va se passer de quoi à un moment donné, pis même si c’est dans 10 ans, je ne le sais pas. De dire « ouais c’est bel et bien fini, c’est terminé », on ne sait pas et on ne le saura jamais.
Il y a quelque chose de trippant aussi à l’idée de choquer. Si tu écris pour déranger et pour choquer, entre autres, après il ne faut pas que tu te surprennes s’il y a du monde qui ne comprenne pas, que ça choque ou que ça dérange. Au contraire, c’est là que tu te dis qu’on fait quelque chose de pertinent parce qu’on dérange un peu, on oblige dans certains cas à la réflexion. C’était ça aussi l’idée. Moi ça ne m’a jamais choqué que le monde ne soit pas d’accord avec nous. Prêcher pour des convertis, c’est un peu boring à quelque part, fait que tant mieux s’il y a du monde qui vient nous voir pis qui écoute les tounes qui ne comprennent pas vraiment le propos, qui sont dérangés par ce qu’on dit. Tsé, tant mieux. Ça se pouvait pas qu’on fasse jouer un band de rap en première partie au Metropolis, pis si on recule, ça ne se pouvait pas qu’on fasse du skate-punk en français. Ça fait 10-15 ans pis aujourd’hui ça serait impensable de tenir un discours semblable. Tant mieux si ça dérange, pis tant mieux si au Rockfest il y a deux ans on a trouvé le moyen de déranger un peu.
Ça fait environ 10 ans que tu as laissé tombé ta pédale de distorsion, est-ce que tu t’es assagi ces dernières années ? Pourquoi ?
G.B. : Je ne sais pas. Je pense que plus souvent qu’avant j’ai le gout de m’assoir sur une chaise pis de boire de la tisane. Ce n’est pas parce que je m’assagit que je me suis mit à faire de la musique plus tranquille, c’est parce que j’ai l’impression d’avoir fait le tour d’une autre affaire avec le punk-rock. Quand Face to Face ou Bad Religion sort un album, je trouve ça plate. J’ai l’impression qu’ils répètent la même affaire pis je le sais d’avance ça va être quoi cet album là. Beaucoup de bands que j’écoutais quand j’étais ado pis jeune adulte continuent de refaire la même chose, pis c’est une des raisons pour laquelle avec les Vulgaires on a voulu arrêter, parce qu’on sentait que nous autre aussi on était entrain de refaire la même affaire albums après albums. Fait que dans ce sens là, ce n’est pas une question de s’assagir du tout, c’est une question d’avoir envie de vivre autre chose tout simplement. C’est sur que la vie change avec les enfants, ce n’est pas le même rythme de vie à 40 pis à 20 ans. Je sors moins dans les bars tout ça. Mais tsé, c’est la vie pis les choix que je fais qui me mènent vers ça. Mais pas assagit mentalement, dans mes opinions, dans mes idées, je ne me suis pas assagi. J’essaie de peaufiner ma réflexion, disons qu’il y a plus de nuances, mais ce sont les mêmes idées qui évoluent à quelque part, et il y en a des nouvelles qui émergent.
« Rêves tu secrètement d’être un fonctionnaire » ?
G.B. : [rires] Des fois, oui. Ça m’arrive des fois, ça m’arrive quand ça fait une semaine ou deux que je suis sur un syndrome de page blanche, j’avoue que ça arrive que ça me passe par la tête. Mais ce n’est pas sérieux, je ne pense pas que je pourrais.