Paris. Ville tentaculaire dévoreuse de rêves, elle recrache la dépouille des parvenus qui pensaient s’y faire un nom. Les provinciaux se précipitent dans ses rues boueuses, entrent dans ce monde où l’argent est roi, où l’ascension sociale est possible, oui, mais à quel prix ?
Par Camille Sainson, journaliste collaboratrice
Lucien est un jeune poète naïf et innocent qui va tenter sa chance là où les particules ont toutes leur importance et règnent au sommet de la société. Embauché dans un journal pour rédiger des critiques acerbes sur l’actualité culturelle, il est bien vite confronté aux manigances du métier ; les actionnaires s’enrichissent à coup de fausses rumeurs et de polémiques. Au diable l’amour de la littérature, de l’art et des belles choses, il faut surtout courir après le profit. Sur fond d’industrialisation, de reproduction de masse et d’atteintes à la liberté de la presse, la plume gorgée d’encre devient une arme mortelle autant pour celui qui est visé que pour celui qui la manie. Lucien, aveuglé par le succès, se retrouve au milieu d’un tourbillon de robes aristocratiques, de jeux de pouvoir et d’ambitions, de paillettes et de musique, un monde où les verres ne sont jamais vides, où le champagne coule à flots. Mais Balzac, plus que lucide sur les déboires de son époque, ne laissera pas son personnage s’en sortir si facilement. Le titre, Illusions Perdues, n’évoque pas une comédie légère et romantique, mais assène violemment le couperet et annonce la tragédie à venir. Entre amour perdu et amitiés déçues, la descente aux Enfers est rapide, le rideau tombe, les illusions se brisent, éparpillant leurs éclats encore brillants de fortune et de succès, ne laissant que des fragments tranchants prêts à verser le sang. Si Zola n’épargnait pas son Claude Lantier, Balzac offre une porte de sortie à son personnage. Condamné à rentrer dans sa province, Lucien peut se remettre à écrire au milieu de ses marguerites, sa plume désormais alourdie par le deuil et la désillusion. Est-ce le prix à payer pour faire de l’art ? Le narrateur serait probablement de cet avis.
Sacré césar du meilleur film, des meilleurs décors et costumes, fort des prestations de Vincent Lacoste, césar du meilleur acteur dans un second rôle, et de Benjamin Voisin, meilleur espoir masculin, Illusions Perdues rafle pas moins de 7 prix sur les 17 catégories. Le Paris du XIXe siècle se dresse, imperturbable, derrière la caméra de Xavier Giannoli, qui, tel un chirurgien, dissèque et met en lumière les viscères gangrénés de cette société. Malheureusement, quelques sous-entendus braquent le projecteur sur notre siècle, il semblerait que cette Comédie humaine ne soit pas terminée, que les enjeux politico-économiques tirent encore les ficelles de la presse.
On s’en remet donc à la beauté du film, à Shubert, Strauss ou même Vivaldi qui font vibrer les cordes de leurs instruments, participant à cette valse effrénée où la gloire n’est qu’un vain mot, où l’art ne règne plus en maître, où les illusions, épuisées, meurent en silence sur la scène.
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