La génération Y est désabusée et perdue paraît-il. À notre époque d’ultra-communication souvent vide de sens, ces jeunes ne savent plus comment faire pour vivre, d’autant plus qu’ils sont arrivés à l’étape de se construire en tant qu’adultes. Ce phénomène, qui ne date pas d’hier, a été et continue d’être abondamment illustré en littérature, notamment dans Les enfants moroses, premier livre de Fannie Loiselle, une jeune écrivaine née en 1985. C’est dire si elle «vit» au cœur de son sujet.
Loiselle, à travers les nouvelles qui composent ce recueil, met en scène une petite poignée de personnages (Christophe, Camille, Léanne, Sarah, Audrey, Éric) qui se croisent et s’entrecroisent, apportant ainsi au livre une structure élaborée au fil de situations parfois incongrues, parfois tragiques. On y retrouve certaines récurrences significatives: le supermarché, symbole de la (sur)consommation, ou la nuit, univers de toutes les peurs. Native de Saint-Jean-sur-Richelieu, l’auteure a définitivement le don pour camper des êtres fictifs et leur donner, par à-coups méticuleux et précieux, une véritable profondeur. Malheureusement, son talent ne sait pas toujours s’adapter à l’écriture particulière qu’est celle de la nouvelle: dans les pages les moins réussies, on a l’impression de lire une petite histoire insignifiante, au mieux un chapitre raté d’un plus grand tout, et non pas une nouvelle au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire un univers clos et complet.
On le sait, ce genre littéraire est plus complexe à écrire qu’il n’y paraît. Le résultat, le recueil de nouvelles à proprement parler, est trop souvent inégal, comme c’est le cas ici. Fannie Loiselle a un beau potentiel littéraire, cependant un peu étouffé par cette structure exigeante, surtout dans la première moitié du livre. C’est dans les dernières pages que se trouvent les meilleurs textes brefs, «La visite» ou «Léannedans le labyrinthe», des petits chefs-d’œuvre qui font regretter la présence des nouvelles plus faibles, plus anecdotiques («Le manège» en est un parfait exemple). Il aurait peut-être fallu enlever ici et là quelques courts textes, afin de faire ressortir ceux qui possèdent un souffle littéraire et une étrangeté bienveillante.
Les enfants morosesest donc un premier coup d’essai, une sonde qui annonce, plus par ses qualités que ses «ratages», un univers profond et inusité. Le fabuleux et l’extraordinaire côtoient le banal, le commun, voire le cliché. Et il y a aussi ce sentiment d’avoir lu quelque chose qui ne serait que la métaphore d’un discours social, malheureusement mal décliné en fiction, et ce à cause, entre autres, des fins de nouvelles parfois décevantes, qui laissent un goût d’inachevé. Mais le nom de Fannie Loiselle est à retenir. Il ne s’agira peut-être que de mieux trier le bon grain de l’ivraie, d’aller à la cueillette des mauvaises herbes, ou enfin, de mieux construire un tout à la hauteur de son talent.