Ésimésac a deux ans, la taille d’un jeune homme et la force d’un train. Il n’a jamais vécu les temps fastes où chacun mangeait à sa faim et où les jardins nourrissaient leurs propriétaires. Ce qu’ils mangent : «de la misère !», comme dit sa mère. D’une bonté infinie et sans aucune malice, Ésimésac voit ses proches dépérir et décide de prendre les choses en mains. Il propose de faire un jardin commun au village. La force du nombre, comme on dit. La somme de chacun dépasse tout ce que peuvent faire les villageois individuellement. Entre temps, le forgeron, l’homme fort du village, se sent menacé par la force surprenante du nouveau-né (ne cherchons pas à comprendre la poésie d’une légende).
Dès le début du long-métrage, on se demande s’il s’agit encore d’un projet de Luc Picard pour mettre du beurre sur sa table. Comme quoi on est bien souvent victime de son propre succès. Fred Pellerin en est la preuve : après des tournées de contes dans tout le Québec et un film, pourquoi pas deux ? Mais pourquoi s’entête-t-on à vouloir reproduire ce qui est invisible ?
La beauté des contes et légendes de Fred Pellerin, c’est qu’ils sont justement insaisissables et que l’auteur nous les raconte dans une atmosphère «au coin du feu» et que c’est : «Crois-moi ou crois-moi pas, je te dis tout ça et c’est tout». Un nouveau-né qui naît à la grandeur d’un homme mûr peut sortir d’une légende orale sans trop faire de tracas. Malheureusement, lorsqu’on lui donne trop de chair, Ésimésac devient trop réel pour être vrai.
Le deuxième film de la série, suivant Babine de plusieurs années dans la chronologie anachronique de Fred Pellerin, Ésimésac est tout simplement beau. C’est un travail magnifique fait par une équipe (les acteurs autant que la technique) très compétente, sauf que parfois, on doit s’interroger à savoir si tout doit être fait. Est-ce vraiment nécessaire de mettre un visage connu sur toutes les histoires ? Enfin : à voir si on veut entrer dans un monde sans époque où le temps est insaisissable.
Mathieu Massé