Photo par Maxim Paré-Fortin

La théorie de USE ET ABUSE

USE ET ABUSE est un spectacle qui a eu lieu au Théâtre Périscope, du 9 au 13 décembre. Il met en scène Christian Lapointe et Alix Dufresne, deux artistes multidisciplinaires et engagé.es, ainsi qu’une vidéoconférence intitulée Comment l’industrie culturelle use et abuse de l’art où Alain Deneault, philosophe et professeur à l’Université de Moncton, résume le propos de son livre L’économie esthétique paru en 2020.

par Viviane Charland, journaliste collaboratrice

Pourquoi une telle juxtaposition – l’entrevue numérique comme trame de fond à la performance théâtrale – est-elle si intéressante, et tant porteuse de sens ?

Alain Deneault est un théoricien, et sa théorie, comme n’importe quelle autre, ne peut se matérialiser qu’à travers un langage scientifique, sociologique, voire universitaire. Ce langage possède sa propre spécificité, ses propres caractéristiques, et n’a du sens que dans le contexte théorique dans lequel il s’enracine. Qui plus est, la théorie s’inscrit toujours en continuité des théories qui la précèdent. Il s’agit là d’un univers difficile à pénétrer. 

Photo par Maxim Paré-Fortin

Bien que le philosophe utilise le langage théorique pour remettre en question notre système de gouvernance, nos habitudes économiques et nos codes sociaux, la théorie en elle-même, de par son caractère établi, et parce qu’elle appartient à l’institution qu’elle critique, ne parvient pas totalement à déstabiliser cesdits systèmes. Le langage, appartenant ici au champ de la théorisation, se présente ainsi comme la dernière couche – et la plus difficile – à déconstruire. C’est là que la performance de Christian Lapointe et Alix Dufresne entre en jeu.

Les deux artistes jouent sur scène avec signes, symboles et codes, en dehors de tout champ théorique. Là où la théorie révèle ses propres limites, la performance ouvre un autre mode de connaissance – non universitaire, non conceptuel, non scientifique, mais senti. La notion d’ordre, qui est nécessaire à la pensée, et plus encore à la théorie, est ébranlée. Ce qui étonne, voire ce qui détonne, amorce toujours un mouvement de déconstruction, et l’inconfort (que les spectateurs ressentiront à l’écoute de ce spectacle) est la réaction initiale face aux mots et aux choses qui se situent dans « l’anormalité ».

Les artistes réussissent ici à tenir ensemble ce qui est incongru, là où le langage peine à s’inscrire dans l’espace. Ils jouent avec la limite de la pensée, là où l’impossibilité sans cesse s’inscrit. USE ET ABUSE est un spectacle qui réintroduit le corps et l’impensable dans le langage, et montre ainsi ce qui échappe au discours théorique.

Cette dichotomie entre fond – théorique, cadré et universitaire – et acteur.ices libéré.es des codes sociaux normatifs (exhibition de la nudité, de la sexualité et de la violence) permet de rendre compte de l’absurdité, voire du comique des contraintes imposées de ce qui nous semble, collectivement, aller de soi.

Selon Michel Foucault, le simple fait de libérer un corps de ce à quoi la société s’attend de lui, donc d’affirmer une identité refusée par la norme, est un acte de transgression et de libération, une façon d’incarner un contre-pouvoir. Et qu’est-ce qu’être artiste, si ce n’est pas d’aller à contre-courant du supposé sens du monde ?

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