Rencontrer l’auteur, compositeur et interprète déjanté de Dans ma tête, hymne à la folie qui crée et qui dérange, dans l’un des fauteuils rembourrés du Fou Aeliés de l’Université Laval ? Toute est dans toute, comme dit l’adage. Entrevue avec une drôle de bibitte, à l’occasion de la sortie de son petit dernier, Le silence des troupeaux.
À l’origine d’un cri
Difficile de trouver un artiste qui a été plus actif que Philippe Brach sur la scène musicale québécoises ces cinq dernières années. Depuis 2012, le fringant Saguenéen court les concours (et les remporte), enchaîne les tournées, accumule les prix (Révélation Radio-Canada Musique et Félix de la révélation de l’année en 2015). En trois ans et demi, il a pondu trois albums, tous sortis de sa tête bouclée de festif pessimiste : c’est du lourd. L’auteur-compositeur-interprète lui-même n’en revient pas : « Sincèrement, si tu m’avais dit y’a cinq ans que j’en aurais cordé trois de même, je t’aurais dit : t’es vraiment cancellé ».
Les deux premiers, passe encore : il avait les idées, il savait quoi dire et comment le dire. Le troisième, par contre… « Celui-là est vraiment arrivé de manière impromptue. Ça a comme… C’était vraiment intense, fallait que ça sorte rapidement. À un moment donné j’ai fait : c’est un gros cri, pis faut absolument que ça se passe. Faut que ça sorte là ». Et c’est sorti. Mais pourquoi cette urgence ? « Ça a été poussée par une prise de conscience, en fait. Vraiment. J’trouve qu’y’a beaucoup de choses dans la vie en général, sur la planète, qui ont atteint un point de non-retour… » D’où cette douce odeur d’apocalypse, de joyeuse déchéance, de décomposition avancée et de féroce dégringolade qui émane de son nouvel opus.
Derrière ses airs de fêtard, il est sérieux, Philippe Brach. Un peu trouble-fête, en fait. Et il souhaitait, avec Le Silence des troupeaux, parler sérieusement à ceux qu’il fait rire depuis quatre ans – parce que, souligne-t-il, « Au Québec, quand tu fais rire, on t’écoute ». « J’voulais en parler avant que le monde pognent leur grip morale sur mes tounes qui parlent de brosse. Y’avait une couche de substance de plus à apporter », explique-t-il, avec l’œil rieur du prophète de malheur.
Pessimiste, Philippe Brach ? Un peu, quand même. Le regard qu’il pose sur notre société contemporaine, c’est un peu celui du doorman affable dont les poings serrés attendent néanmoins la bêtise de trop. Et Le Silence des troupeaux, c’est cette « claque dans la face » qui ne patiente plus, magistrale. Huit chansons, deux pièces musicales, un peu moins de trente minutes de matériel. Et pourtant, ça fesse. On a l’impression de s’être pris une symphonie dans la tronche, tant le dernier album est dense et puissant. Déprimant, aussi – « nihiliste », ajoute l’artiste. « C’est raide, hein ? », rigole l’auteur-compositeur-interprète, pas peu fier de cette offrande qui était à deux chansons près « d’être un peu extrêmement lourde ».
Le monde selon Philippe Brach
Ça va mal. Mais qu’est-ce qui va mal, au juste ? Lorsqu’on le lui demande, Brach cabotine un peu, se fendant d’un commentaire éditorial sur les médias sociaux. « C’est drôle, parce que je fais une job où est-ce que j’évolue dans le regard des autres, alors qu’en 2017, c’est rendu que tout le monde évolue dans le regard des autres. C’est ça qu’y’est fucked up. Ça fait beaucoup d’ego. Laissez l’ego à nos artistes ! », blague-t-il. Avant de se faire sérieux : « Il y a beaucoup d’ego, mais il n’y a pas beaucoup d’exercice de compréhension. On se demande rarement pourquoi on ne comprend pas quelque chose ». Décidément, derrière la poésie un peu rude, brute, il y a une finesse, une sensibilité.
Une langue bien pendue, aussi, comme lorsque l’artiste se permet une vigoureuse pique contre la « culture du vide » et certains « influenceurs » : « Ça devient des gros panneaux publicitaires ambulants qui ont vraiment pas de vie pis qu’y sont complètement vides, tsé », lâche-t-il. Avant de poursuivre, pamphlétaire un peu trash et sans gants blancs : « Après ça sortir de chez nous pis arriver en Asie pis voir que la pollution, ça chie. Voir que la pauvreté, ça chie. Voir que le réchauffement climatique, ça fuck le système. Pis c’est aussi de voir que nous autre dans notre confort, on câlisse rien à contre-courant de ça. On est juste avachi totalement ». Philippe Brach admet lui-même que son discours est aussi un cliché. N’empêche : quand on se les prend dans la gueule à grands coups de chansons noires foncées, les clichés, ils ébranlent un peu. Et c’est tant mieux. Parce que comme le dit le chanteur, « y’a une coche de plus à prendre ».
« On le fait, j’m’en câlisse »
Ce n’est pas parce que ça va mal pas mal partout, pas mal tout le temps qu’on peut pas avoir de fun et des rêves un peu mégalos. Le silence des troupeaux, c’est, en plus du band habituel, un orchestre et deux chœurs. Un gros, gros projet. Un beau trip musical. « Le but c’était d’avoir la création sans compromis, totalement », explique un Philippe Brach requinqué.
Même pas de compromis financiers ? « J’avais quand même pilé du cash beaucoup… J’suis pas très dépensier dans la vie. En fait je suis très dépensier, mais quand je dépense, c’est one shot ! Tant qu’à payer vingt musiciens j’veux être au milieu de l’orchestre, j’veux qu’y’en ait quarante-trois, j’veux tripper ». C’est aussi ça, Philippe Brach, prophète de l’apocalypse : du fun. Du gros fun noir.