Made in Beautiful (Belle Province), présentée jusqu’au 3 février à Premier Acte, met le spectateur en garde : « ceci n’est pas une œuvre souverainiste, c’est une lettre d’amour ». L’ennui, c’est que le propos en filigrane de la pièce est diffus.
Variations nostalgiques sur le thème de la culture : ainsi traduirait-on le propos de Made in Beautiful (Belle Province). Il s’agit du deuxième texte que présentent Olivier Arteau et le théâtre Kata à Premier Acte, après Doggy dans gravel l’an dernier. Le jeune auteur d’origine montréalaise est issu de la cuvée 2016 du Conservatoire d’art dramatique de Québec.
Un jeu de miroir entre les époques
La pièce présente une déclinaison de fêtes d’Halloween sur une période s’étalant du 31 octobre 1995 – le lendemain du deuxième référendum – jusqu’à aujourd’hui. Ces soirées festives constituent autant de reflets du rapport de notre société aux traditions. Le spectateur discerne celles qui ont résisté aux vents de la rénovation et celles qui, en contrepartie, ont « sacré le camp » comme dirait l’une des personnages. Le jeu de miroir entre les époques est habile.
La voie à un questionnement fertile sur la survivance de notre culture est ainsi pavée. Cette voie, elle est empruntée par le véhicule riche en symbolisme de la fête d’Halloween. Parmi les jalons entre lesquels il nous transporte, il y a la chute du World Trade Center, la légalisation du mariage gai et le conflit étudiant de 2012.
Made in Beautiful (Belle Province) repose sur un jeu solide de la part des acteurs et actrices. Quant à la mise en scène, elle est également assurée par Arteau et inclut notamment des éléments de projection vidéo. La pièce comprend aussi quelques intermèdes musicaux. La chanson Le vent nous portera du groupe Noir Désir est d’ailleurs de bon ton avec le thème de la pièce. En effet, que subsiste-t-il au souffle du temps sur nos souvenirs ?
Un tout bigarré
Si la pièce est parfois attrayante sur le plan visuel, elle échoue à filtrer une réflexion qui paraîtrait approfondie. Assurément : elle ose, s’aventurant sur des terrains comme l’avortement, l’homosexualité et la mondialisation. Les scènes qui en résultent sont toutefois pétries de clichés. Les tableaux les plus sensibles semblent correspondre aux événements qu’Arteau, issu de la génération Y, a appréhendé alors qu’il avait lui-même atteint une certaine maturité. Tel en est-il de celui sur le Printemps érable, le tableau le plus réussi.
Par ailleurs, force est d’admettre qu’une confusion émane de Made in Beautiful (Belle Province). On ne saurait en dégager un message clair ou consistant. Qui plus est, la pièce ne laisse pas entrevoir ce qui, outre les soirées d’Halloween, a motivé le choix des événements inclus. Arteau donne l’impression d’en avoir pêché quelques-uns fortuitement dans sa mémoire et de les balancer, avec une curieuse violence, à l’auditoire.
Des questionnements de société cruciaux
Néanmoins, certains questionnements repris par la pièce sont cruciaux et font écho aux véritables débats actuels. Ainsi, s’il y a des gains que nous effectuons en tant que société, il y a aussi des éléments qui passent à la trappe. Or, qu’est-ce qui préside à un tel tri ?
Enfin, si la pièce clapote à la surface des choses, elle crée un curieux mouvement de vagues. Il est intéressant de s’attarder à la levée en soi de certaines résistances pendant qu’on y assiste. Made in Beautiful (Belle Province) est-elle précisément un des produits sibyllins de ce « pays post-national » évoqué dans la pièce, de cette coquille un peu évidée de sa substance qui prête un flanc craquelant à la culture de masse ? Belle mise en abîme, toute involontaire qu’elle soit. Toutefois, les puristes du texte fouillé, soigné, sensible, de la recension historique rigoureuse et des personnages nuancés, seront sceptiques lorsqu’ils vivront le spectacle. Quelques anachronismes et incongruités font sourciller – à débuter par le choix de la fête d’Halloween, elle-même empruntée à une autre culture, comme point de départ à une réflexion à propos du Québec.