Photo par Emmanuelle Letendre Lévesque

Les cinq chaises blanches de SENS

Pour un scénariste, vivant l’art complètement en retrait de la vie, aller à une performance comme celle-ci c’est se lancer un défi. Dès l’entrée en salle, impossible de ne pas remarquer les cinq chaises blanches dispersées parmi les rangées de sièges noires qui encerclent à 360 degrés la “scène”, ce caré blanc qu’on peut toucher en tendant le pied. Cette incursion dans l’espace du public, c’est le centre de ce projet, un mouvement qui a forcé ma position de spectateur dans un zone de vulnérabilité auquel je n’étais pas habitué. 

par Léon Bodier, chef de pupitre aux arts,
avec la collaboration de Noémie Fontaine, directrice des arts à CHYZ 94,3

Noémie Fontaine a eu la chance de pouvoir enregistrer son entrevue avec le chorégraphe Harold Rhéaume dans le cadre de Chéri.e, j’arrive!, l’émission radio culturelle de la station CHYZ 94,3 FM : https://on.soundcloud.com/ZhuWjMA9CH3lferWHg

En voici le grandes lignes suite à ma propre rencontre avec lui :

Après deux décennies de création à Québec, le chorégraphe présente une œuvre longuement mûrie, née d’un besoin profond de renouer avec le public. Pendant la pandémie, il a sérieusement envisagé d’abandonner la pratique artistique. Comme beaucoup de ses collègues, il s’est demandé à quoi servait encore l’art dans un monde déconnecté des autres. C’est justement ce questionnement qui a fait naître son nouveau projet : pour continuer, il devait créer avec le public, et non plus seulement devant lui.

Photo par Emmanuelle Letendre Lévesque

Durant deux ans, il a multiplié les résidences à travers le Québec et la France, partageant à chaque étape des fragments de sa performance avec des spectateurs. Leurs réactions, leurs mots, leurs gestes ont façonné le spectacle — il garde d’ailleurs précieusement des cahiers de notes remplis d’observations du public. Lors d’une représentation à Baie-Comeau, il a fait fermer le rideau pour inviter le public à monter sur scène avec lui au lieu de perdre le contact dans une énorme salle. Pour plusieurs, c’était la première fois qu’iels vivaient un spectacle de l’intérieur, une proximité qui change tout. 

Ces échanges lui ont permis d’affiner chaque détail et de présenter cette semaine au complexe Méduse une œuvre aboutie. Dès l’entrée pour SENS, les interprètes accueillent les spectateurs — poignées de main, accolades, sourires —, brouillant les codes habituels du théâtre à l’italienne. Plus de séparation, plus de noir complet avant le lever de rideau : il s’agit de retrouver ensemble le sens du contact et du partage.

Le silence tombe, et les artistes, dont le chorégraphe fait partie, prennent les chaises blanches et s’installent en face de nous. Chacun leur tour, iels encouragent le public à faire des vocalises, à effrayer leurs voisin.es, à devenir conscient de sa peau et de la texture de ses vêtements. Les lumières restent allumées, pas de musique, les cinq sens s’éveillent et impossible de ne pas se sentir connecté.e à la salle et à chaque personne sur lesquels nos yeux se posent. 

À présent, on est prêt pour l’expérience que les cinq artistes nous proposent. Parfois iels restent assis avec nous, tellement qu’on oublie qu’iel ne sont pas des nôtres, car iels le sont. Parfois iels dansent, cours, sautent et se serrent avec passion en tendant la main dans l’espoir d’en trouver une du public tendue vers eux en retour. Les accessoires théâtraux font également le tour des rangées pour que, nous aussi, on ait une chance d’apprécier leur texture. Jeux de lumières, de sons et de mouvements, à la fois intime et collectif, cette création permet de retisser un lien déstabilisant de vulnérabilité entre l’artiste et le public, là où la distance s’était installée.

Photo par Emmanuelle Letendre Lévesque

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