Les Roumains, les poètes et nous

Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion de revoir Videograms of a Revolution, un documentaire de Harun Farocki et Andrei Ujica – que je vous recommande vivement – présentant la révolution roumaine de décembre 1989 à travers des montages de l’époque.

On y voit le tyran Ceausescu en plein discours, chassé du lutrin, chassé du siège du Comité Central, chassé de Bucarest puis finalement chassé du pouvoir par la population roumaine, écoeurée. On voit ensuite les premières images transmises à partir des studios de télévision triomphalement libérés par la foule pressée d’annoncer les succès de la révolution. Vous savez, d’ailleurs, qui a été le premier personnage présenté par les caméras comme symbole de l’émancipation? Ce n’était pas un leader politique ni un activiste notoire. Ce n’était même pas un militaire dissident.

C’était Mircea Dinescu, un poète.

L’anecdote, portant l’image de la foule transportée par les vers inspirés du créateur trop longtemps bâillonné, a en elle-même quelque chose d’assez poétique. Elle peut également nous faire rêver d’une société où la poésie serait mieux considérée et appréciée. J’en ai assez de voir les gens lever le nez sur cette forme d’expression par ignorance ou par apathie. Notre poésie, on la trouve plate, inaccessible et démodée. Elle est désormais si mal comprise et mésestimée qu’on n’arrive même plus à l’identifier ou à comprendre son importance véritable.

Car en plus d’être un art littéraire, une forme de création d’une grande noblesse et d’une grande élégance, l’art poétique doit également être l’expression d’une authenticité collective ou individuelle, d’un sentiment et d’une réalité à exprimer et à recréer.

Charles Beaudelaire disait d’ailleurs que « Tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours, de poésie, jamais ».

Cette poésie à laquelle il fait référence, elle est vivante. Elle n’est que le simple fruit de nos expériences, de nos contemplations, de nos sensations et émotions quotidiennes. Tous ces moments ne sont que des pièces poétiques attendant la plume.

Comme Mircea Dinescu l’a été en 1989, dans son studio de télévision roumain, le poète reste finalement associé à un message d’émancipation. Il est à la fois le symbole et l’instrument de l’impression et de l’idée nouvelle. On devrait tous prendre la peine de s’improviser poète de temps en temps. D’ailleurs, si certains et certaines d’entre vous souhaitent continuer à vous approprier cet art et à le célébrer, ça tombe bien, toute la ville fête le Mois de la Poésie jusqu’au 31 mars. Allez donc voir.

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