MARÉE HUMAINE, MANU MILITARI

Sébastien Bondeau

Une musique hip-hop assez traditionnelle – lire clichée – soutient le verbe bien cru de Manu Militari. D’emblée, on y retrouve une percussion lourde, des violons, des back-vocals soul et vides, un piano classique pseudotragique et un effet delay qui termine les couplets ou les chansons. Rien dans la trame ne sort des conventions si ce n’est le titre Roi de la jungle qui emprunte ses tambours et son choeur à la culture africaine ou encore Sultan Hotel, plus modéré dans ses instruments.

L’intérêt voué à cet album sera alors justifié par la plume de l’auteur. Non seulement pour sa rime, mais aussi pour ses personnifications vraisemblables et ses histoires d’outre-mer. On connaissait déjà la capacité de Manu Militari à raconter des tranches de vie qui ne lui appartiennent pas et ce, avec plausibilité. Fait inusité, dans Changement de décor, il personnifie un plant de cannabis et, dans Roi de la jungle, il se glisse dans la peau du lion. Mais, comme à son habitude, le rappeur décrit principalement des situations de misère. L’audace de ses idées va de pair avec l’aspect pathétique et fataliste de ses histoires. Son parler tranchant et ses mots bien ficelés complètent cette audace et nous rappellent pourquoi il a remporté le Félix de l’album hip-hop de l’année 2010, avec Crime d’honneur.

Par le biais du vidéoclip, L’attente a fait couler beaucoup d’encre. Les médias en ont fait une propagande pro-terrorisme taliban, car l’interprète était clairement campé d’un point de vue afghan pendant la guerre. La chanson ne se trouve plus sur le disque. Dommage. Imaginez le bruit que ça aurait causé, en cette commémoration du 11 septembre! On entend toutefois dans les autres morceaux des références à ce retrait. Certaines tournures dans le vocabulaire de Manu Militari viennent parfois freiner sa poésie. Faire référence à de la « poussière d’étoiles » ou dire que l’on s’est fait « arracher les ailes » relève certainement du cliché, quasi parodique. Ça dérange surtout l’oreille lorsqu’elle s’était habituée à des vers tels que : « Chus un loup, le peuple un troupeau de chèvres; si jamais ça vire mal, la seule issue, je la connais; je garde la dernière balle pour moi, comme un Japonais ».

Tout compte fait, Marée humaine est assez partagé entre les influences musicales d’un passé déjà vu et l’évolution personnelle du parolier. Sa facilité à nous faire visiter les cultures d’un monde misérable le place dans une case à part, c’en est flagrant. Pour une troisième fois, Manu Militari se distingue des autres rappeurs, voire de tous les autres artistes québécois. Seulement, il le fait encore de la même façon.

3/5

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