Auteure à la plume grinçante et d’une rare efficacité, Catherine Léger offrait avec sa plus récente pièce, Baby-sitter, une comédie traitant de féminisme et de misogynie sous toutes ses formes avec intelligence, sans prêchi-prêcha. Portée par une distribution de quatre comédiens au ton toujours juste, dans une mise en scène minimaliste de Philippe Lambert, la pièce surprend en ce qu’elle fait réellement réfléchir tout en enchaînant des moments humoristiques de très haut vol. Créée en 2017 au Théâtre La Licorne à Montréal, la pièce est présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 24 novembre prochain.
Cédric (David Boutin, hilarant dans son rôle d’étourdi, mais jamais cabotin) vit un de ces moments de gloire qui ne rendrait fier que le plus irrécupérable d’entre-nous : imbibé avec ses amis à un match des Alouettes de Montréal, il a crié des bêtises misogynes à la journaliste Chantal Machabée, geste qui fut filmé, visionné, commenté. Sa carrière se retrouvant sur la sellette, Cédric cherche donc à se sortir de son petit marasme personnel. En s’excusant, tout simplement ? Son frère Jean-Michel (Steve Laplante, d’une drôlerie à la fois stoïque et naïve), est d’un autre avis : pourquoi ne pas réfléchir un peu à ce qui l’a mené à tenir ces propos déplacés ? Pourquoi Cédric est-il misogyne ? Les deux frères s’embarquent ainsi dans l’écriture d’une série de lettres d’excuse à l’intention de figures féminines contemporaines et historiques. Leur vision de la femme, de sa réalité sociale, familiale, professionnelle, sexuelle, changera en cours de récit, ce qui rendra le petit travail de rédaction plutôt difficile, bien qu’enrichissant.
La blonde de Cédric, Nadine (Isabelle Brouillette, qui réussit à se démarquer, même en faire-valoir, avec ses mimiques faciales entre deux sourires en coin), est en congé de maternité lors de l’incident, mais, exaspérée par la léthargie un peu niaise de son copain, elle désire se reposer, voire même retourner au travail s’il le faut. Entre alors en scène Émy (Victoria Diamond, jonglant entre fausse ingénuité et lucidité éclairant la pièce), une baby-sitter embauchée par Cédric pour s’occuper du nouveau-né pendant qu’il s’échine à rédiger brouillon d’excuses sur brouillon d’apitoiement. Sa présence bouleversera autant Jean-Michel, toujours en déni à la suite d’une rupture et champion olympique de la vertu élastique, que Nadine qui, d’abord réticente face à la jeune femme, s’en inspirera pour changer, se faire plaisir, dominer sa vie, enfin.
Sans complaisance ni fausse note
La pièce de Catherine Léger, malgré sa prémisse absurde qui aurait très bien pu inspirer une enfilade sans fin de gags potaches au plus honnête des dramaturges du dimanche – dramaturges d’été ? -, ne verse jamais dans la facilité. La remise en question des frères Cédric et Jean-Michel concernant leur rapport aux femmes semble toujours sincère, avec ses essais et ses erreurs, le premier tentant vaillamment de comprendre et de circonscrire son « subconscient douchebag », et le second, prototype du journaliste qui aime s’écouter théoriser, n’adapte pas moins son besoin urgent d’absolution à ce que lui apprennent les personnages féminins au fil du récit.
Le texte est toujours bien mordant, mais pas de rire facile en vue : Nadine devenue impératrice de sa vie de femme, servante et clochette à l’appui, impose le respect et non l’embarras ; Émy, malgré son passé, n’est ni victimisée, ni ridiculisée ; la parentalité à la base de la pièce ne sert pas de prétexte à des scènes de négligence, et ce, même si aucun personnage n’est en déficit d’excentricité.
La décor épuré d’Elen Ewig – on ne retrouve qu’un sofa au centre de la scène et la chambre du bébé à sa gauche -, additionné aux transitions rapides entre les courtes scènes et au jeu sans faille des quatre comédiens, fait briller le texte de Léger, en souligne l’humour en le dépouillant de toute fioriture inutile. Une comédie rare, de laquelle on ressort en soupirant de satisfaction plutôt que d’exaspération.