L’Orchestre symphonique de Québec et les finissants du Conservatoire d’art dramatique ont offert un Bourgeois gentilhomme de fort belle tenue, mercredi le 28 février dernier, à la salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre. Sous la houlette de Jacques Leblanc et la baguette de Fabien Gabel, les deux institutions ont livré une partition enthousiaste et enthousiasmante.
Leçon d’histoire : Le bourgeois gentilhomme, célébrissime pièce de Molière sur les folles envies d’ascension sociale d’un nouveau riche un peu bébête, fut d’abord une comédie-ballet. Molière et Jean-Baptiste Lully, surintendant de la musique à la cour de Louis XIV, régnèrent sur le genre à la fin du XVIIe siècle. Musique et théâtre, donc : mariage devenu rarissime, que l’OSQ et le Conservatoire ont célébré de nouveau le 28 février dernier, afin de souligner les 60 ans de l’école d’art dramatique.
Pour l’occasion, toutefois, au revoir Lully, ou peu s’en faut : l’OSQ a plutôt interprété la suite orchestrale plus ambitieuse composée par Richard Strauss dans les années 1910, ne conservant que quelques passages de l’œuvre musicale originale (dont l’incontournable Marche pour la cérémonie des Turcs). Le résultat, fort satisfaisant, alternait ainsi la plupart du temps les passages joués et les intermèdes musicaux. Le tout possédait une belle cohérence, même si le spectateur moderne, peu habitué à ce jeu d’allers et retours souvent très segmenté, a parfois pu éprouver une légère surprise devant ce rythme particulier. À la direction musicale, Fabien Gabel, bon joueur et costumé de pied en cap (il ne jurerait pas à la Cour de Versailles) a fait montre d’une belle sensibilité et d’une grande vivacité, formidablement soutenu par son orchestre, déployé sur scène.
Qu’à cela ne tienne : l’expérience est agréable. Les finissants du Conservatoire ont fait flèche de tout bois et s’en sont donné à cœur joie, même si certains personnages peinaient davantage à convaincre (l’amoureux transi Cléonte et le comte Dorante, notamment, tous deux peu incarnés et, pour le premier, par trop caricatural). Chapeau bas, par contre, aux valets, aux laquais et au professeur de philosophie, dont la leçon savante, comme à l’habitude, a donné lieu au meilleur moment de la soirée.
Un Monsieur Jourdain à deux visages
Quant au bourgeois lui-même, ce Monsieur Jourdain qui porte aux nues les « gens de qualité », il a deux âmes et deux visages. Deux interprètes se partagent en effet le rôle : Étienne Lafrenière l’incarne au début et à la fin de la pièce, Alexis Gaumond dans la section centrale. Des deux, Lafrenière est celui qui tire le mieux son épingle du jeu (sa partition, il faut le préciser, est plus riche) : son visage rubicond et mobile, son jeu très physique et sa voix si particulière, pleine d’un enthousiasme naïf et presque enfantin, font merveille. Aux habitués des salles de théâtre de la vieille capitale, le jeune acteur rappellera sans doute Jonathan Gagnon (Five Kings, Gloucester, Lapin Lapin), dont on ne peut s’empêcher de penser qu’il ferait merveille dans un tel rôle. Face à lui, forcément, Alexis Gaumond apparaît un peu terne, sans démériter.
À la mise en scène, le vétéran acteur et nouveau directeur du Conservatoire Jacques Leblanc, qui sait apprêter le théâtre classique à toutes les sauces avec talent et à propos, offre une lecture dynamique de l’œuvre, très physique, bon enfant et efficace (très éloignée de la récente et saisissante version présentée par le Trident il y a quelques années). Aux costumes, Madeleine Oona Miljours et Léa Filion ont créé un univers fantasque et exubérant, très éclaté, parfois décousu mais toujours impressionnant. Bref : une fort belle production, sans prétention, au plaisir contagieux. Le public, hilare, ne s’y est pas trompé.