Nathan Murray
C’est à vingt heures tapantes dimanche soir que le célèbre artiste britannique est monté sur la scène du Colisée, se méritant une longue ovation debout avant même d’avoir pu articuler le moindre mot. Après avoir salué la foule, il a brièvement expliqué le déroulement du spectacle et présenté avec grande générosité et dans un français fort respectable les deux artistes en première partie. Pour cette première de la tournée Back to Front, consacrée au mythique album So, la chanteuse norvégienne Ane Brun devait entamer le concert. Malade, elle a néanmoins été remplacée avec brio par Jennie Abrahmson et Linnea, les choristes de Peter Gabriel.
Malgré cette superbe première prestation, une foule quelque peu impatiente a dû attendre jusqu’à 20h45 pour que l’ex-leader du groupe Genesis remonte sur scène, accompagné de ses acolytes. Encore une fois, de chaleureux applaudissements ont accueilli Tony Levin (basse), puis David Rhodes (guitares), David Sancious (claviers) et Manu Katché (batterie), tous absolument époustouflants. La première portion du spectacle, qui comprenait notamment la magnifique Come Talk To Me et un Shock The Monkey revisité, n’a cependant pas réussi à faire lever la foule, malgré plusieurs cris d’enthousiasme : les lumières du Colisée, demeurées allumées pour une raison obscure, plombaient carrément l’ambiance. Les spectateurs ont d’ailleurs manifesté bruyamment leur soulagement lorsqu’elles se sont éteintes en plein cœur de Family Snapshot, permettant un meilleur usage de l’appareil scénique qui entourait le chanteur. Projections sur écrans plutôt psychédéliques, jeux de projecteurs et de caméras dynamiques sans être agressants, chorégraphies sympathiques mais loin d’être flamboyantes et « grues » sur rails aux allures de robots ont rythmé le reste du spectacle.
La deuxième section, consacrée à une musique beaucoup plus électronique et dense, a démarré sur des chapeaux de roue avec une prestation électrisante qui a mis à l’honneur la grandiose Digging in the Dirt. La foule s’est levée d’un seul bloc dès les premières notes alors qu’un Peter Gabriel plus énergique que jamais arpentait vigoureusement la scène. Après plusieurs autres interprétations bien senties, il est vite devenu clair que les musiciens comme les spectateurs étaient désormais emportés dans une magnifique spirale musicale. Le public s’est d’ailleurs véritablement déchaîné lorsque, à la fin de ce deuxième bloc, la célèbre introduction de Solsbury Hill s’est fait entendre. La soirée avait atteint sa vitesse de croisière — et quelle vitesse!
À peine Solsbury Hill terminée, Gabriel et ses musiciens sont passés au morceau de résistance, faisant place aux pièces de l’album So, certifié cinq fois platine, et dont cette nouvelle tournée célèbre le vingt-cinquième anniversaire. Contrairement à l’habitude du chanteur, mais conformément à la « mission » du spectacle, on était ici dans la nostalgie plutôt que dans l’innovation musicale. Les nombreux succès de So, livrés dans leurs arrangements d’origine, ont cependant ravi la foule, et Peter Gabriel semblait prendre un plaisir évident à les interpréter avec les mêmes musiciens qui l’avaient accompagné pour l’enregistrement de l’album, il y a plus de vingt-cinq ans.
L’artiste britannique a commencé cette dernière partie en force, débutant avec la toujours excellente Red Rain, pour ensuite enchaîner avec la légendaire Sledgehammer, sous les acclamations nourries d’une foule conquise. Le ton s’est ensuite un peu adouci, sans rien perdre de son intensité, avec le classique Don’t Give Up, interprété en duo avec la toujours excellente Jennie Abrahmson. La livraison de Mercy Street, superbement chantée par un Peter Gabriel couché sur scène et encerclé par les caméras, a aussi constitué un des moments forts de cette ultime partie, qui s’est terminée sur l’inoubliable In Your Eyes, alliant à la fois énergie et émotions.
Gabriel et ses comparses sont évidemment revenus le temps d’un rappel réclamé à corps et à cris par les fans. Après l’étonnante The Tower That Ate People, au cours de laquelle le chanteur s’est fait « avaler » par une tour de tissu blanc descendue du ciel, Gabriel a livré son ultime succès. Le chanteur a tiré sa révérence après avoir interprété Biko, sous les « Biko, Biko » et les « Oh oh oh » scandés par des spectateurs comblés, aux bras levés. L’icône de la musique britannique chantait alors depuis près de deux heures trente.
Malgré quelques imperfections bien naturelles pour une première — on notera notamment une chanson « évacuée » pour cause de problèmes techniques, le délai entre les écrans géants et la scène, les lumières allumées lors des quatre premières pièces, de même que quelques maladresses ici et là —, les 10 000 fans de Peter Gabriel rassemblés hier au Colisée peuvent se vanter d’avoir assisté à un grand spectacle, livré par un véritable génie musical. Formidable créateur et merveilleux interprète — les « jeux » vocaux sont absolument ahurissants, la voix puissante, la présence sur scène totale —, Peter Gabriel aura encore une fois tenu ses promesses.