Dans l’asile de Charenton, on a finalement enfermé le Marquis de Sade. Sa dépravation, ses mœurs débridées, mais surtout ses idées folles auront eu raison de sa liberté. Pour autant, peut-on éteindre un artiste en le claquemurant ? En le censurant ? En lui coupant la langue ? Jusqu’où peut-on aller pour rétablir le bien sans s’étouffer soi-même ?
Bien installé dans sa cellule, le Marquis de Sade (Robert Lepage) ne donne aucun signe de rémission. Ennuyé par la détention, son vice s’emballe. Oisif, il écrit à corps perdu des fables violentes et érotiques qui filtrent hors des barreaux. Une situation qui ne saurait durer et à laquelle entend remédier le docteur Royer-Collard (Jean-Sébastien Ouellet), nouveau dirigeant de l’hôpital. Il attache à sa tâche, l’abbé de Coulmier (Jean-Pierre Cloutier), un homme doux et dévoué.
Entre le bureau du directeur et la cellule du détenu, l’excellente mise en scène de Robert Lepage et Jean-Pierre Cloutier dessine un espace scénique labyrinthique aux contours flous, un palais des glaces où les murs jouent sur des effets de miroirs et découvrent des profondeurs secrètes.
Dans cette ambiance équivoque, la lutte entre la censure officielle et la liberté de l’artiste prend des avenues insoupçonnées. Le Marquis n’est pas un fou, son art puise sa vitalité dans le côté sombre, lugubre et violent de la sexualité. Son propos n’est pas l’affaire d’un excentrique et bien vite, abbé et docteur s’étourdissent dans les frasques de l’artiste. Où dresser alors les lignes dures du bien et du mal ? Et si le mal était le bien ? Les fausses conventions éclatent et dans la folie, la confusion, la violence, les rôles s’inversent. Qui dirige l’asile ? Qui est le monstre ? Où est la vérité ?
Inspirée de la vie du Marquis de Sade, la pièce n’est pas de lui, mais bien le fruit du travail de Doug Wright, auteur américain récipiendaire du prix Pulitzer. D’abord adaptée en film, c’est la première fois que l’œuvre est jouée en français grâce à la brillante traduction de Jean-Pierre Cloutier. Le texte remarquable et soutenu donne un corps certain à la pièce.
La distribution est elle aussi irréprochable. Lepage est un Marquis de Sade tout à fait réussi ; drôle, génial, théâtral, sombre et ravagé. Cloutier quant à lui parvient fort adroitement à jouer un rôle difficile où l’abbé est progressivement englouti par l’univers du Marquis.
Quills est une pièce totalement troublante qui s’attaque avec fracas à nos idées contemporaines. L’extrême sexualité de l’œuvre, sa violence et sa noirceur forcent un questionnement perturbant quant à nos certitudes. Soyez assurés que si le saint abbé lui-même s’égare dans sa tâche, vous ne sortirez pas indemne de votre soirée.
La pièce est présentée au Trident jusqu’au 6 février 2016.