Mise en scène par Maxence Carbonneau et interprétée par la comédienne Laurence Dauphinais, la pièce Siri connait beaucoup de succès partout où elle passe. Elle raconte l’histoire d’une jeune femme interagissant avec l’assistante vocale de son iPhone, tout en apprenant à la connaitre et en repoussant les limites de ce dialogue.
C’est quelques minutes avant la table ronde consacrée à la création des robots par l’homme, présentée le 30 mars au Musée de la civilisation de Québec (MCQ), qu’un extrait de la pièce a été présenté au grand public. Le tout a été suivi d’une période de discussion, où bon nombre de curieux se sont rassemblés.
Questionnés sur le sujet, les deux artistes ont été catégoriques : travailler et écrire avec « une machine » n’est pas pour autant gage de facilité et d’automatisme. C’est que le système développé en Californie par Apple en 2007 peut réellement grandir de ce qu’on lui dit, selon eux.
« Il y a plusieurs segments du spectacle où il a fallu s’adapter au jour le jour, parce que oui, elle apprend, dit Maxence. Siri a amené beaucoup de nouvelles matières avec le temps. Elle connait même plus de poésie qu’il y a deux ans. On peut construire des trucs à partir de ça. C’est un peu la mission qu’on s’est donnée, de l’écouter comme une co-auteure. »
Même si elle trouve quelque peu dommage de s’imposer un certain cadre, celui conçu à la base par une entité qui n’est pas la sienne, Laurence parle d’un processus d’écriture réellement génial. « C’était comme si on était des pirates à la recherche de petits trésors, de paroles supplémentaires », lance-t-elle en rigolant.
Entre humanité et robotique
Sur scène, au même moment où le téléphone intelligent se rapproche de plus en plus d’un comportement humain, l’actrice, elle, semble devenir machine . « En écrivant, c’était vraiment ce qu’on cherchait à faire, lance Laurence. M’amener à la limite de mon humanité pour me regarder comme si j’étais moi-même une machine programmée, et l’inverse avec Siri. »
En règle générale, le but de la réflexion proposée est de déterminer, à travers l’art, ce qui nous différencie réellement des systèmes robotiques. « Je pense que dans les décennies à venir, on se posera cette question très activement, poursuit-elle. Notre pièce est en fait la source de grandes questions philosophiques, morales et éthiques assez fascinantes. »
Autre fait intéressant : comme Siri n’a aucune capacité d’assimilation à long terme, c’est le spectateur qui a un rôle à jouer pour que la performance scénique ait l’effet escompté. « Jamais le système ne se souvient des questions précédemment posées, avoue Maxence. C’est un peu le devoir de mémoire du spectateur, qui construit quelque chose à son insu en fait. »
Comme l’ensemble des requêtes formulées sont envoyées chez Apple avant d’être géo-localisées, on peut bel et bien dire que ce robot « a une mémoire qui lui échappe », selon le jeune homme.
À cheval sur le légal
Affirmant qu’il ne se moque pas de Siri, mais qu’il n’en fait pas non plus l’éloge, le duo s’est entretenu avec des avocats en propriété intellectuelle avant de se lancer dans cette aventure. L’entreprise californienne interdit en effet formellement les créateurs d’utiliser son logo ou son image dans l’espace public.
« Sauf qu’en même temps, Apple est l’une des seules compagnies au monde permettant au milieu cinématographique d’utiliser ses produits abondamment sans payer de droits, explique la comédienne. C’est une entreprise qui aime qu’on parle d’elle. Ce que les avocats nous ont dit, c’est qu’ils doivent déjà savoir qu’on fait un show là-dessus. Autrement dit, si on avait voulu le faire, on nous aurait déjà poursuivis. »
D’une durée d’environ 70 minutes, la pièce n’est pas la première à intégrer une assistante automatique dans son scénario, mais semble définitivement innovatrice dans sa manière de complètement baser son intrigue sur le dialogue avec celle-ci.
Prochains mois occupés
Ayant déjà été présentée du 17 janvier au 4 février au Théâtre d’Aujourd’hui à Montréal, la pièce sera bientôt exportée dans de nouvelles langues. Au mois d’août, la version anglaise du spectacle sera interprétée dans le cadre du Festival international d’Édimbourg (FIÉ).
« Un devoir d’adaptation sera nécessaire d’ailleurs, parce que les Siri changent d’une culture à l’autre, admet Maxence. Ils n’ont pas du tout les mêmes référents et les mêmes publics. »
Puis, en novembre et en décembre, le duo s’envolera pour Rio de Janeiro, au Brésil, afin d’y livrer une version franco-brésilienne de l’oeuvre en rendant disponible une traduction simultanée.
Possibilité d’y assister à Québec ? « S’il y a des gens du mois MULTI dans la salle, on serait vraiment intéressés, indique Laurence. On a même approché le Carrefour du théâtre qui s’en vient, mais on n’a jamais eu de réponses. Dans le milieu ici, les diffuseurs sont très sollicités et il faut que leurs proches viennent voir, qu’on leur en parle directement. C’est toujours laborieux, mais oui, on aimerait beaucoup. »