Photo par Amélie Messier

« Sommeil sans rêves »

Faunes livre le-la lecteur-rice à la « confusion des sentiments » comme l’exprimerait l’écrivain Stefan Zweig. L’inquiétude voile ainsi la fascination que suscite l’univers dans lequel Christiane Vadnais situe son premier roman, faisant naître un sentiment d’ambivalence.

À la manière d’une peintre paysagiste, l’ex-rédactrice en chef d’Impact Campus brosse un univers glauque avec force détails. Elle y plante la série de tableaux qui composent la plaquette de quelque 130 pages parue chez Alto.

Les frontières entre l’environnement et les êtres humains y sont dissous – liquéfiées, prolongerait-on. L’autrice fait d’ailleurs un usage prolifique du lexique aquatique. Pour ainsi dire, le monde futuriste dans lequel évoluent les personnages – peu caractérisés, car ce n’est pas sur eux que repose principalement le roman – est brumeux, humide. La Terre est devenue cet immense marécage, suintant et propice au foisonnement de curieux micro-organismes. Ceux-ci élisent éventuellement domicile dans le système digestif des êtres humains, abattant une distinction supplémentaire entre eux et leur environnement.

Un retour à l’état sauvage

Devant le dérèglement de la nature, les craintes primitives, les instincts animaliers surgissent à nouveau, comme une bête tapie que la faim tire du sommeil. Vadnais intercale ses histoires d’allusions à nos lointains-es ancêtres : « C’est peut-être en atteignant un état stable, relativement protégé du danger, que nos ancêtres ont commencé à sentir palpiter en eux une vie nocturne. Les rêves auraient pris racine dans la chaleur et la sécurité de leurs premiers abris, dans le repos tranquille de celui qui chasse plutôt qu’il est chassé ».

Tandis que nos ancêtres accédaient ainsi doucement à leur humanité, se distanciant du stade de la stricte survie, les personnages de Faunes suivent le processus inverse – et inéluctable. La force des éléments transcende largement leurs velléités humaines. Dans un futur assez rapproché, il est plausible d’imaginer un tel scénario.

Les faunes qu’illustre Vadnais, en outre, sont ambiguës. Elles n’appartiennent ni tout à fait à l’espèce humaine, ni aux bêtes, empruntant certains traits au registre du fantastique. Les histoires réussissent à installer une tension chez le-la lecteur-rice : bien qu’il échoue à s’y attacher, il-elle craint sincèrement pour l’intégrité des personnages.

Une voix intime et un potentiel certain

Les tableaux sont reliés les uns aux autres par l’univers dépeint par Vadnais, vaste trame obscure contre laquelle des bribes d’humanité ont l’aspect d’étincelles. Cet univers est nocturne: les personnages y déambulent comme s’il se fut agi de somnambules prisonniers d’un « sommeil sans rêve », lorsque le récit ne bascule pas carrément dans le cauchemar. Il arrive que Vadnais éconduise quelque peu l’imaginaire du-de la lecteur-rice, certaines images peinant à s’y déployer et forçant la relecture. Or, la plupart du temps, les métaphores sont efficaces.

Il va sans dire que l’autrice est dotée d’une voix bien à elle, et celle-ci s’élève avec justesse à travers ce premier roman. Il convient de laisser macérer le contenu de ce bouquin d’anticipation, d’ambiance et de poésie, afin d’en mesurer le plein potentiel. Quoi de mieux que la moiteur de l’univers de Faunes pour laisser germer, puis mûrir les fruits chargés de promesses que porte le récit.

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