Plongeant le spectateur en état de veille introspective quatre heures durant, Loin présente trois histoires, trois univers de personnages regroupés par les thématiques du cinéma et de la création. Entre Alfred Hitchcock et David Lynch, il est intéressant d’y laisser nos pensées se balader. Les sujets qu’aborde son auteur, Thomas Gionet-Lavigne, restent des intemporels : l’originalité artistique et le conformisme, l’amour entre courage et vulnérabilité, l’incarnation troublante d’une personne réelle par le comédien. Des thèmes qui auraient mérité plus de profondeur dans la trame narrative et l’interprétation qu’a livrée la troupe le 11 janvier dernier.
Alors que chaque histoire a un dénouement à la fois tragique, cohérent et inattendu – et qui fait même frissonner –, chacune d’entre elles comporte également des moments plats, voire des scènes faibles en énergie. Côté texte, on sent le potentiel et aussi l’espace pour creuser plus, approfondir la réflexion et le jeu autour de ces thèmes récurrents chez le collectif. Côté scène, là où certains comédiens happent entièrement notre attention par leur présence, d’autres arrivent tout juste à faire naître leur personnage. Dans un rendu quelque peu inégal, le tout arrive quand même à une certaine fluidité.
Même si l’on reste parfois sur notre faim de nouvelles dimensions ou de fraîcheur, impossible de ne pas saluer certains enchaînements et suspenses. Des punchs qui arrivent à point, des émotions qui prennent vraiment forme. En espérant que cette œuvre et les suivantes mûriront en force, en richesse et en plénitude.
La culture de l’intelligence
Bon Hitchcock, Müller plus qu’ordinaire et Lynch très bien tourné, la trilogie Loin n’est pas sur un écran près de chez vous.
Louis-Augustin Roy
« Ne jamais surestimer la culture du public, mais ne jamais sous-estimer son intelligence » aurait dit Kieslowski. Les artisans de la pièce Loin ont ri ouvertement de la deuxième partie du principe, ils ont aussi empiété dessus, mais ils l’ont d’abord respecté.
Il est bien de s’inspirer de la conceptualisation du suspense d’Hitchcock. Cependant, admettons qu’un homme se sache cocu et suive son cocufieur, l’air mauvais. Admettons qu’il le menace, sa main plongée dans sa poche, tenant une chose que son vis-à-vis et le spectateur subodorent être une arme. Admettons que le spectateur apprenne plus tard qu’il s’agissait d’un simple livre… C’est le retournement imbécile par excellence, à l’effet basé sur du vent, il ne faut jamais faire subir cela à l’auditoire. Comme si on faisait un film avec une bombe – suspense au maximum – et qu’à la fin on sache que c’était une bombe de confettis.
L’empiètement est moins important, il est celui de la réexposition du malheur de David (Lynch) en nous beurrant de rose le tableau de son ancien bonheur avant de retaper sur le clou de la dernière révélation. Coupée, le spectateur aurait aussi bien compris toute la mélancolie de David sans se le faire épeler et, par cette concision, la finale aurait eu encore plus de force.
Exception faite de cet accroc, l’atmosphère lynchéenne réussie, intégrée à une idée de Vertigo de transformation maniaque d’une femme inconnue en l’aimée, en fait le meilleur tiers. La mise en scène qui, un temps, ne conserve que l’essentiel : le visage fasciné de David (Lynch) devant Madeleine; son trouble persistant, ponctué de cette vidéo au grondement énigmatique et magnifiquement diégétique; les origines de Madeleine qui percent à travers son masque social; tout cela contribue à l’excellence théâtrale sur le mode less is more.
Quoi ? Loin
Qui ? Texte : Thomas Gionet-Lavigne et Hugo Lamarre, mise en scène : Hugo Lamarre
Où ? Théâtre Premier Acte
Quand ? Jusqu’au 28 janvier
Crédit photo : Roxane Légaré