Crédit photo Chloé Gagné

Tadoussac : écrire ensemble, chanter ensembler

Au croisement du fjord et du fleuve, au rythme des battements de la foule et des concerts, CHYZ et Impact Campus ont une fois de plus embrassé l’air salin de la Côte-Nord pour se plonger dans l’univers singulier du Festival de la chanson de Tadoussac, du 12 au 15 juin. Une 41ème édition qui se sera comme toujours fait le refuge de la création locale et d’une scène musicale émergente, vibrante et libre. Retour sur l’un des plus beaux festivals au Québec. 

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), journaliste multiplateforme

 

Tadoussac, oui merci !

Durant le festival, Impact Campus a eu l’occasion de s’entretenir avec le groupe indie-rock oui merci (Mathilde Joncas, Ludovic Leblond, Laurent Massie, Marc-Antoine Lavallée et Gabriel Couture), que nous avions découvert sur scène l’an dernier au Festival d’été de Québec ainsi qu’au FRIMAT. 

Mais cet été, le groupe n’avait que deux spectacles à son horaire : un au Festival de la chanson de Tadoussac et un aux Francos, tous deux dans la même fin de semaine. Ce choix s’explique par le fait qu’iels ont consacré une partie de leur printemps à l’enregistrement d’un nouvel album, ainsi que d’un EP. Collaborant cette fois avec François Lafontaine et Guillaume Chartrain, oui merci s’est isolé à Saint-Zénon, puis en Gaspésie, un petit rituel créatif déjà au coeur de leur premier album. Au-delà de leur attachement à la nature, c’est le fait de vivre le moment ensemble qui transforme le processus de création. “Être sur place toute la semaine, plutôt que de se pointer en studio de 9h à 17h, ça nous permet d’être plus connecté.es, et plus investi.es dans le projet de l’album”, nous confie Gabriel. 

Plus encore, le fait d’habiter ces lieux particuliers, en retrait, influence également la composition même de l’album. “Souvent, quand on entre en studio, les tunes sont déjà composées. La plupart du temps, on sait déjà ce qu’on va enregistrer. Mais être en nature, ça fait en sorte qu’il y a parfois des petites libertés qu’on se permet de prendre. Le fait qu’on soit là dès le matin, qu’on dorme là et qu’on puisse continuer jusqu’à très tard (ou pas), ça fait qu’il y a toujours un peu de place pour l’improvisation. Et le fait qu’on soit tout le temps ensemble, ça crée une bulle. Il y a des idées qui arrivent et qui ne seraient pas arrivées si on avait juste été dîner au Subway, par exemple. On parle tout le temps de l’album, et ça influence beaucoup ce qu’on va enregistrer. Parfois on ajoute des éléments au niveau des arrangements ou de la composition, on va changer un peu les paroles qui n’auraient peut-être pas été changées si on avait enregistré dans une autre forêt ou même juste au centre-ville”, nous raconte Mathilde. 

Et c’est justement ça, l’esprit de Tadoussac. Pensons aux Chemins d’écriture, “une formation en écriture de chansons de cinq jours à Tadoussac proposée à huit auteur.rice.s-compositeur.rice.s-interprètes”. Dans le cadre de l’émission spéciale Manque pas le bateau !, nous avons d’ailleurs eu la chance de rencontrer Luan Larobina et Kourage, qui faisaient toustes deux partie de cette 22ème cohorte. S’il s’agit d’abord d’une résidence de création, cette rencontre leur permet aussi de tisser des liens, de faire circuler l’art, de sortir les chansons de leurs cahiers et de les laisser aller à voix haute. C’est une occasion de s’ouvrir à l’autre, – une vulnérabilité que les deux artistes explorent chacun.e à leur façon dans leurs projets respectifs. 

Tadoussac, c’est donc aussi – et surtout – un lieu d’échanges, de liens vivants, entre artistes comme entre festivalier.ères. Ces amitiés et ces collaborations sont au coeur de l’événement, un aspect que les membres de oui merci affectionnent particulièrement. Iels ont d’ailleurs organisé une soirée collaborative en mars dernier à La Sala Rosa, invitant Arielle Soucy, Embo/phlébite, Forêt, hôte, LUMIÈRE et Nana Quinn à partager la scène. Cette initiative traduit un désir de tisser des liens plus serrés avec la scène musicale montréalaise. Selon Mathilde, iels n’auraient pas pu faire autrement : “On aime chiller ensemble, et on a tendance à s’associer à des personnes qu’on connaît déjà, ou alors dont on connaît bien la musique et l’apprécie. On avait envie de mettre leur musique en valeur.”

Enfin, à quoi s’attendre des prochains projets de oui merci ? “Avec l’album et le EP, on a pu travailler différentes facettes de notre musique qui sont un peu à l’opposé. L’album travaillé en studio, c’est quelque chose de vraiment propre et de plus léger, alors que pour le EP, ça a été fait de façon super DIY, en Gaspésie, avec les moyens du bords comme on dit. Il y a donc quelque chose de plus rough, qui est plus dans l’urgence de vivre.” Un contraste qui illustre bien l’essence du groupe : une quête d’authenticité nourrie par les rencontres, les paysages, et cette volonté de faire les choses à leur manière, à force d’expériences et de collaborations. 

Cette même philosophie de partage transparaît aussi dans À quelle heure on change le monde?, spectacle de la deuxième cohorte des Flambettes, un projet collectif porté par des artistes de la relève, soit Simon Boisseau, pianiste compositeur, Lauriane Charbonneau autaire performeur.se, Héron, le projet solo d’Henri Kinkead et Sandrine Masse, autrice compositrice interprète Wendat. La force de leur performance repose justement sur cet équilibre entre leurs univers artistiques distincts. Iels ne cherchent pas à se perdre dans un tout excessivement uniforme, mais ont en fait toustes un espace pour s’exprimer, non pas pour s’éclipser mais s’accorder. C’est cette capacité à faire résonner leurs voix côte à côte, tout en sensibilité, qui en fait une mosaïque autant éclaté que délicate et cohérente. 

De même, la cumbia continentale de Less Toches aura conquis le public de Tadoussac, qui en aurait définitivement pris plus, à en croire les applaudissements sans fin et les mille et unes demandes de rappel lors de leur deuxième performance de la fin de semaine. Si leur musique s’avère elle-même par-dessous tout rassembleuse et chaleureuse, c’est également leur énergie sans borne qui aura su mettre le feu aux poudres. Bien que le groupe aborde des questions disons plus sérieuses ou même mélancoliques – pensons à la chanson Chu pas d’ici – Less Toches, de par le lien qu’il tisse presqu’instantannément avec les spectateur.rices, est une invitation festive à ressentir ensemble, à transformer sa peine par la musique et le mouvement, à célébrer ce qui nous lie malgré ce qui nous sépare, et ainsi faire de chaque battement un moment de joie partagée.

Tadoussac en direct

Pour en apprendre plus sur nos coups de coeur du festival ainsi que sur les artistes que nous avons rencontré.es, en plus d’avoir accès à des performances live exclusives, vous pouvez toujours réécouter nos deux émissions spéciales, en direct de Tadoussac ! On discute avec :

  • La Dame Ovale, à propos de chanson française, d’événements communautaires et d’enregistrement devant public ;
  • Isabelle Charlot, avec qui nous avons abordé l’avenir de la musique indépendante et l’importance d’une consommation musicale éthique, notamment dans le contexte de son dernier album et de sa pratique artistique ;
  • Sandrine, Henri et Laurianne des Flambettes qui nous ont partagé leur expérience en tant que deuxième cohorte, aussi diversifiée que rassembleuse ;
  • Roxann Tremblay, bénévole étoile, à propos des charmes et des dessous du festival ainsi que de la nécessité tout comme de la richesse de l’implication bénévole ;
  • Maïa Barouh, artiste franco-japonaise, à propos d’identité, de collaborations internationales, de son rapport aux traditions et à la nature ;
  • Luan Larobina et Benoit Ouellet (Kourage), qui nous ont partagé leur expérience des Chemins d’écriture, le fruit de leur résidence tout en nous permettant de nous immerger dans leurs univers respectifs ;
  • Les Deuxluxes, pour jaser d’autoproduction, de rock au féminin, d’esthétiques kitsch et vintage et de friperies ;
  • Less Toches, qui nous en ont appris davantage sur le genre de la cumbia, de la manière dont sa joie permet de transcender la douleur, ainsi que sur les liens avec le public et l’importance de l’expérience, partagée, des performances live ;
  • Et finalement, Myriam Sénéchal, directrice générale du festival et co-directrice du théâtre des Béloufilles, un théâtre d’été féministe établi sur la Côte-Nord qui revient cet été avec la pièce Nos mères meurent (et nous n’y pouvons rien). 

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