Cette semaine, La Rotonde nous invite à la Maison pour la danse de Québec à l’occasion d’un programme double, rien de moins ! Formule peut-être plus inhabituelle, elle permet néanmoins de réunir et de découvrir deux pièces portées par des artistes chorégraphes et interprètes émergentes : Le paradoxe des horloges, d’Héloïse Le Bagousse et Meï Thongsoume, suivie d’À toutes les dames qui portent un jupon, première oeuvre de Marie-Chantale Béland. Une belle façon de mettre en lumière la diversité de la danse à Québec et la créativité des artistes qui s’y produisent.
Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), journaliste multiplateforme
Le paradoxe des horloges, peut-on lire, s’inspire « du concept du temps, ce paradoxal mélange d’instant et d’éternité », et c’est effectivement exactement ce qui se dégageait de l’oeuvre à force de ralentis et d’accélérés, de pauses, de retours en arrière et de recommencements. Le spectacle s’ouvre en force – quoique l’introduction, dans le noir total, m’a parut légèrement plus longue que ce qu’il aurait été nécessaire. La lente et douce montée de lumière qui suivit, combinée aux mouvement subtils, voire presqu’imperceptibles des interprètes, me semblait cependant capturer avec justesse l’essence poétique et philosophique de la pièce. Petite maladresse ou choix stratégique ? Qu’importe. Ce fut, à mes yeux, l’un des moments marquants du spectacle. Peut-être est-ce là l’utilité de la pénombre initiale : habituer le regard des spectacteur.rices à l’obscur, pour mieux les préparer à l’infime. Si certains mouvements ou procédés étaient parfois, en mon sens, un peu convenus, ou que certains éléments – comme le passage du temps signifié par le tic-tac des horloges – auraient gagné à être suggérés plutôt qu’illustrés (afin d’éviter une littéralité attendue, voire un certain didactisme), Le paradoxe des horloges tire néanmoins sa force de la tension constante entre décalage et rattrapage. Il y a là une mécanique sensible se jouant des dissonnance d’un temps qui échappe et qui revient, dans une tentative incessament renouvelée de résoudre l’insoluble.
De son côté, À toutes les dames qui portent un jupon proposait quelque chose d’à la fois plus intime et politique, puisque « le spectacle nous immerge dans une mémoire familiale où s’entrechoquent à petite échelle les dynamiques sociétales ». La pièce, qui oscille entre affection et lucidité, exprime d’abord cette dimension intimiste par la complicité, loin d’être forcée et particulièrement appréciée, qu’elle entretient du début à la fin avec le public, puis par la manière qu’elle a de transformer les gestuelles du quoditien – se recoiffer, se vêtir, etc. – grâce à la danse. Chaque interprète a l’espace nécessaire à l’affirmation singulière du personnage qu’elle incarne. Leurs mouvements y sont expressifs, incarnés, et laissent place au débordement, élément qui, il m’a semblé, a réussit à charmer les spectateur.rices avant même que la pièce ne commencent. Et s’il y avait une dimension politique et féministe indéniable, notamment grâce à l’usage du trio comme vecteur de solidarité, de transmission et d’échos, il y a une part d’humour, tantôt tendre ou alors plus enthoutiaste, voire burlesque, qui permet d’éviter le piège d’une moralisation rapidement lourde. À toutes les dames qui portent un jupon jette un éclairage moderne et par dessous tout lumineux sur la résistance et la libération, et ça, ça fait toujours du bien.
Il faut dire que les deux oeuvres chorégraphiques sont assez différentes, tant en terme de langage chorégraphique, de registre que de ton, mais ne sont pas pour autant complètement étrangères l’une à l’autre : elles partagent toutes deux un intérêt pour l’introspection, le besoin d’individuation, de mise en distance et celui de rapprochement, de synchronicité et de filiation, de sorte qu’un dialogue particulier puisse s’établir au sein de ce programme double, qui n’aura ainsi été ni inutile ni hasardeux.