Jusqu’au 29 avril, l’Orchestre d’hommes-orchestres (ODHO) fait retentir sa joyeuse exubérance dans la Caserne Dalhousie. Le-la spectateur-rice discernera les volutes d’un fumet de revendication s’élevant du rutilant Tomates, le dernier objet théâtral façonné par cette bande allègrement indisciplinée.
La confusion à laquelle livre Tomates est grande : il est difficile d’en dégager le propos précis. On retrace toutefois le fil du récit de Simon, un jeune adepte du jeu de Go dont l’ingénuité le mène à prendre part à une joute l’opposant à nulle autre que la Mort d’État. Lors de la partie ultime, Simon s’incline devant celle-ci et se voit charger d’une mission fumeuse, sans quoi sa vie sera fauchée : celle de récupérer, à travers un processus occulte, le « sabre de lumière et de vertu de sagesse » afin de le restituer à la Mort d’État.
Bien qu’il confine l’auditoire à la dubitation, le spectacle fait naître chez le-la spectateur-rice une intuition prégnante. En effet, du chaos orchestré par les interprètes sourd un vibrant appel à la mobilisation, une remise en question de l’ordre établi exhortant à la levée contre celui-ci. Le capitalisme est pointé d’un doigt accusateur, et l’ODHO s’applique à en faire chanceler les bases avec une charge vigoureuse.
Une indiscipline créative
L’indiscipline est au cœur du processus créatif de l’ODHO dont le début des activités remonte à 2002. Ayant mené déjà une dizaine de projets à ce jour, le groupe de Québec composé de six artistes (outre des collaborateurs-rices) se frotte cette fois-ci à la pensée politique, et spécialement à l’essai À nos amis du Comité invisible traitant du renversement – nécessaire – de l’état actuel des choses. Des communautés autogérées, basées sur le partage et sur une véritable solidarité, sont dans la mire des personnages.
Autre point commun aux projets menés par l’ODHO : une intégration inscrupuleuse d’éléments disparates, formant un tout bigarré. Tomates est ainsi le fruit – à juste titre – d’un amalgame de codes empruntés notamment au conte et à l’opéra. Un attirail hétéroclite d’objets jonche la scène : planche de skateboard, balles de ping-pong, gants de vaisselle, sofa, casque de hockey.
Parmi ces objets disparates : une caméra. Tout au long du premier acte, celle-ci « capture » subrepticement l’action du deuxième. Avec le concours d’un monteur dont on a le loisir d’apercevoir le travail en périphérie de la scène, le deuxième acte est ainsi projeté, un tel procédé permettant d’« accentuer et d’organiser certains détails sur lesquels la performance se construit » comme le formule l’ODHO. Les interprètes ne sont pas pour autant relégués à la passivité pendant la projection, fardant celle-ci d’un bruitage loufoque ou encore entonnant des airs de révolte.
Un spectacle qui force la débrouillardise
Une telle orgie de codes et de références confine le-la spectateur-rice à la débrouillardise : l’ODHO l’intime de mobiliser ses ressources afin de dégager du sens à partir de cet écran de fumée ainsi dressé à sa figure. Certaines répliques savoureuses sont livrées comme autant d’attaques contre l’indolence des franges les plus bourgeoises du public. L’ODHO a d’ailleurs eu le souci de consigner quelques-unes de ces phrases savoureuses dans le programme de soirée – on lui en est reconnaissant-e, de même que de nous convier ainsi à une réflexion essentielle à propos de notre société et de ses modes de production.
« Notre force ne naîtra pas de la désignation de l’ennemi, mais de l’effort fait pour entrer les uns dans la géographie des autres. » -Prince André
« Cette idée est étonnante qu’il nous serait plus difficile d’imaginer la fin du capitalisme que la fin du monde. » -La Mort d’État