Veni, vidi, vinci

Le Théâtre Périscope présentait sa toute première saison en 1985. Robert Lepage y fit un triomphe avec Vinci, pièce solo portée aux nues par la critique qui valut au dramaturge québécois sa première grande percée à l’international. Trente ans plus tard, le Périscope célèbre ce double anniversaire en offrant une toute nouvelle mouture de Vinci dans une mise en scène de Frédéric Dubois. Choix judicieux : si le choc et la fascination béate des débuts ne sont plus là, l’œuvre de Lepage constitue toujours un fort beau moment de théâtre.

Le tout avait pourtant bien mal commencé, avec un Pierre Philippe Guay incapable de livrer le monologue d’ouverture, récité dans un italien laborieux puis inexistant, que les surtitres français essayaient de suivre tant bien que mal dans ses allers et retours. Courageux, l’acteur s’y est repris à quatre ou cinq reprises avant de battre en retraite en coulisses afin de réciter son discours hors-scène, texte en main. La salle était alors plongée depuis quelques minutes dans un silence lourd et gêné, de bien mauvais augure.

Heureusement, le reste du spectacle s’est déroulé sans réelle anicroche. Pierre Philippe Guay est parvenu à reprendre efficacement son rôle de guide artistique et touristique, sans doute inspiré par l’inébranlable aplomb de son compagnon de jeu et interprète principal de la pièce, Olivier Normand. Celui-ci a été impressionnant dans le rôle de Philippe, photographe sans repères démoli par l’échec de son exposition de photos de salles de bain et par le suicide de son grand ami. Abandonnant-là compagne et psy, l’artiste ira finalement chercher le salut en Europe, au cours d’un voyage qui le mènera sur les traces de Léonard de Vinci.

Vinci présente ainsi la quête existentielle d’une âme tourmentée qui s’interroge sur l’art et sur la validité de sa démarche. Cette trame centrale est entrecoupée d’envolées philosophico-érudites sur l’œuvre de Léonard de Vinci et de réflexions sur l’art et l’artiste, parfois un brin grandiloquentes, à la façon du Cocteau de la pièce Les aiguilles et l’opium, mais souvent d’une beauté presque lyrique.

Le tout est enrobé d’un humour caustique dévastateur, et particulièrement bien rendu par un Olivier Normand très efficace dans les changements de personnages, du guide touristique anglais décalé et survolté à la « Mona Lisa de pacotille » croisée dans un Burger King, magnifique d’amère lucidité. Car l’histoire est bien dans la manière de Lepage : éclatée et aérienne, elle prend en fait la forme d’un ensemble de tableaux un brin délirants et presque impressionnistes, plutôt que celle d’une simple trame linéaire. L’art, après tout, ne se donne pas.

À la mise en scène, Frédéric Dubois a effectué un ingénieux travail, misant sur un savant jeu de lumières, de miroir et de transparence pour marquer les divers tableaux et évoquer l’œuvre de Vinci. Sans souffler les spectateurs et sans excès, ce Vinci nouveau n’en demeure pas moins une belle réussite, magnifiquement emballée et généralement superbement livrée. Veni, vidi, vinci, comme disait l’autre !

Vinci est présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 26 septembre. La pièce partira ensuite en tournée à travers le Québec.

Auteur / autrice

  • Nathan Murray

    Journaliste culturel dans son Charlevoix natal pendant la saison estivale, Nathan retrouve avec plaisir, au début de chaque année universitaire, les salles sombres de la capitale. Cinéphile assidu, amateur de musique, de littérature et de théâtre, il vogue de concert en spectacle, entre deux livres d’histoire.

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