Viking : Pizza sur Mars ?

Dans son dernier long-métrage, un sci-fi québécois débridé, Stéphane Lafleur nous projette dans un futur plus ou moins lointain, où cinq hommes et femmes aux profils ordinaires intègrent la Société Viking par laquelle iels ont été choisi.e.s afin de participer à une simulation d’une durée d’au moins deux ans. Alors qu’iels sont stationné.e.s dans un huis clos au milieu de nulle part, les participant.e.s doivent reproduire et régler des problèmes interpersonnels que pourraient possiblement rencontrer, en parallèle, cinq astronautes sur le point d’atterrir sur Mars.

Par Ève Nadeau, journaliste collaboratrice

 

Titre original : Viking | Genre : Science-fiction, comédie dramatique | Durée : 104 minutes | Réalisation et scénario : Stéphane Lafleur et Érik K. Boulianne | Distribution : Steve Laplante, Larissa Corriveau, Fabiola N. Aladin, Hamza Haq, Denis Houle | Production : Kim McCraw, Luc Déry

 

En écoutant la chanson Life on Mars?, j’imagine David Bowie en train de me raconter la vie d’une fille qui s’ennuie. Ses parents la méprisent, elle ne trouve plus son ami, elle regarde un film déprimant qu’elle a vécu plus d’une dizaine de fois. Conséquemment « homesick for another world », comme le dit si bien ce titre du livre d’Ottessa Moshfegh, j’entends cette fille se demander : y a-t-il de la vie sur Mars ?

 

Pour une poétique de l’ennui et de la banalité

Comme dans les précédents En terrains connus (2011) et Tu dors Nicole (2014) qui m’ont charmée, Lafleur, ainsi que son coscénariste Érik K. Boulianne, nous présentent un ou des personnages ordinaires qui aspirent à plus. Le premier, David (Steve Laplante), laisse derrière lui sa femme, sa maison, ses ami.e.s et son emploi pour vivre l’illusion de pouvoir changer de vie : il s’imagine être John Shepard, qui incarne parfaitement l’héroïsme américain surreprésenté dans le cinéma hollywoodien (que Lafleur pointe intelligemment du doigt ici). Comme ses collègues, David n’a, a priori, rien qui ne le qualifie pour personnifier un astronaute (il est enseignant d’éducation physique), outre son portrait psychologique qui coïncide parfaitement avec celui de Shepard. Ce qui lui manque ? Quelque chose comme le titre d’ingénieur aérospatial. Un vaisseau, rien de moins.

Ce qui se rapproche le plus de Mars se trouve du côté du décor désertique désaturé, des plans contemplatifs qui montrent joliment les collines arides et qui contrastent avec les faux costumes d’astronaute au casque lumineux. Symboliquement, comme je l’avais déjà remarqué dans son film de 2014 où les geysers de l’Islande poussent en plein Montréal, la créativité de Lafleur est sans fin : aux scènes d’humour pince-sans-rire portées par des dialogues absurdes se mêlent parfaitement des extraits plus fantasmagoriques, pas bien loin d’un certain réalisme magique où Steve est représenté en train de flotter dans l’espace, en semi-astronaute, ou bien lorsque la planète rouge est montrée en train de grossir, d’agiter ses couleurs comme dans une peinture abstraite. Pourtant, les moments qui font le plus réagir sont ceux où certains détails, par leur origine terrestre, hors du monde que nous présente la diégèse, étonnent, suscitent un sourire : la beauté d’une fleur qui pousse au milieu du sol, un party avec du monde saoul qui danse, des cowboys qui dérangent la simulation, un livreur de pizza qui vient faire son travail, alors qu’au fond, dans le vrai monde, ces choses ne pourraient être plus banales.

Dans Viking, Stéphane Lafleur nous prouve que même en fuyant pour un autre monde à deux pas (ou presque !) de Mars, comme le fait David, on n’échappe pas si facilement à la résurgence de l’ennui et de la banalité.

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