Von Westmount : la tempête du siècle

Comment qualifier ce Von Westmount, deuxième roman de Jules Clara ? Le livre, paru récemment aux éditions La Mèche, brille par sa singularité : s’agit-il d’un conte (de Noël ?) social, d’un récit initiatique, d’un pamphlet ? À mon sens, la réponse se trouve à la croisée de toutes ces questions, au centre d’une toile thématique savamment tissée. Cette toile nous piège, non sans malice, dans les méandres d’un manoir débordant de secrets familiaux, où les enjeux et retournements se déploient à notre plus grand bonheur. Toujours mélancolique, souvent acerbe, Von Westmount brosse le portrait légèrement décalé de son époque, le tout sur fond d’inquiétude climatique.

Par William Pépin, journaliste multimédia

Une prémisse exaltante, une écriture envoûtante

L’écriture de Jules Clara est sans doute l’une des principales qualités de ce roman. Le texte est émaillé d’incises mordantes nous encastrant dans l’amertume d’une protagoniste en pleine crise existentielle et en apparence sans dénouement, dans la vie d’une jeune femme en quête d’élévation sociale (si seulement c’était aussi simple!). À l’image d’un conte turbulent, le roman est ponctué de subtiles intrusions du narrateur, qui sort presque les lecteur.rices de l’encre des pages pour les transporter dans les marges d’un univers parallèle au nôtre. Souvent, Von Westmount dérange tant il endosse des allures de prophétie.

« Elle se dit : si j’arrive à maîtriser la situation, ils voudront probablement me garder cette nuit, et la nuit suivante. Pour conserver ma place au manoir, rien de mieux qu’une petite prouesse. Aline sait reconnaître la valeur brute d’une opportunité. »

Le Parasite du mont Royal?

En très peu de pages, nous croisons la route de nombreux personnages ; ces derniers, méticuleusement développés, sont au service d’un récit aussi complexe et dense que simple d’approche. Au cœur du texte, Aline, pataugeant entre le deuil de sa mère, une rupture amoureuse et l’espoir d’améliorer son sort, entretiendra une amitié avec Clémentine, une jeune femme qu’elle garde au manoir des Von Westmount. Alors qu’un monde les sépare, elles s’uniront toutefois pour se moquer d’un univers de privilèges et d’opulences. Leur relation mettra en lumière — et non sans ironie — l’absurdité des nantis, leur sérieux dans le grotesque et leur mépris inconscient, mépris qui s’incarne notamment dans les enjeux linguistiques que l’on connaît bien.

« Aline ne courait pas littéralement, entendons-nous, mais c’est ainsi qu’elle se l’imagine aujourd’hui, quand elle y repense. […] Les souvenirs remaniés proposent une version traduite, modifiée pour correspondre à l’image qu’Aline se fait désormais d’elle-même. »

Difficile d’identifier un seul fil d’Ariane parcourant ce roman, tant les phénomènes sociaux s’intriquent ici à mesure que la narration se déploie. C’est d’ailleurs ce qui fait la richesse de Von Westmount : l’inventivité — souvent mordante — qu’a Jules Clara de tout mélanger, de tout fondre, à l’instar d’une tempête qui emporte tout sur son passage.

Jules Clara, La Mèche, Montréal, 2022, 170 pages.

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