Photo : Alice Beaubien

Zone de Marcel Dubé: un classique pour amorcer la nouvelle saison

L’attente a assez duré : cest cette semaine que le rideau s’ouvrira sur la saison 2018 de la troupe de théâtre historique de l’Université Laval, les Treize. En effet, elle présentera du 21 au 25 février prochain au Théâtre de poche du pavillon Maurice-Pollack, dans une mise en scène de Thomas Rodrigue, la pièce Zone de Marcel Dubé, une occasion pour les amateurs de revivre une époque charnière de l’histoire du Québec. 

L’automne dernier, alors que les Treize veillaient à leur reconstruction tout en préparant le contenu de la présente saison, un vieux projet agissait comme phare au milieu de l’agitation : proposer une nouvelle mouture de cette oeuvre de jeunesse du dramaturge. « Avec la gang, on la monte depuis la fin octobre, mais moi et ma sœur Maude [Rodrigue, présidente de la troupe et comédienne], on l’a vue pour la première fois au secondaire, lance d’entrée de jeu le metteur en scène, Thomas Rodrigue. Ça fait un bon dix ans qu’on rêve de monter cette pièce-là. » 

Celui qui évolue dans le milieu du cinéma depuis 2009, accumulant ce faisant les collaborations au sein de dizaines de projets en plus de réaliser de nombreux courts-métrages, en est à son baptême de la mise en scène. Même si le septième art lui a en quelque sorte servi de laboratoire pour développer son talent à la direction d’acteurs, son mandat actuel le sort de sa zone de confort. « Le théâtre, je viens de l’apprendre, c’est un trip complètement différent », justifie-t-il.  

La distribution de huit comédiens – Misha Amir, Gabrielle Bouchard, Raphaël Boudreault, Marianne Gratton, Pier-Hugues Madore, Maude Rodrigue, Sophie Simard et Béatrice St-Pierre – lui offre dans ses fonctions un support et un enthousiasme qui furent bénéfiques au projet jusqu’à maintenant, en reprenant des rôles classiques comme celui de Tarzan, de Ciboulette et de Passe-Partout. Un plaisir partagé doublé d’un symbole qui semble tout désigné pour relancer l’aventure des Treize. « On voulait que Zone soit notre première mise en scène, parce que c’est une pièce qui est à la racine du théâtre moderne québécois, c’est une pièce fondatrice. »  

Détail rafraîchissant d’une grande noirceur 

Créée originalement en 1953, la pièce retrace les mésaventures d’une bande de jeunes montréalais vivant en marge des normes sociales de l’époque, s’exerçant à la petite criminalité, nommément la contrebande de cigarettes. L’amour, l’amitié, le pouvoir, la violence et la liberté sont du nombre des sujets abordés par le truchement des personnages de Dubé, le tout avec en filigrane un Québec pieux, strict et guindé à la sauce Duplessis.  

Thomas Rodrigue, metteur en scène

« Zone est un peu une captation de l’univers mental des années 50 du Québec qui est l’évanescence d’un monde, ultimement, parce qu’après il y a eu la Révolution tranquille, une rupture totale avec ce monde-là, analyse Thomas Rodrigue. C’est donc le portrait des derniers soubresauts d’un monde qui a vraiment une richesse. » Sombre tableau, semblerait-il, dynamisé au contraire par la plume tantôt grave, tantôt comique du dramaturge.  

« Ce qui m’a séduit, c’est son rythme, sa simplicité. C’est du storytelling pur, une histoire qui va du point A au point B, ajoute le metteur en scène. C’est l’fun, c’est efficace, il y a un suspense. » Rodrigue souligne à plusieurs reprises le pragmatisme narratif guidant l’écriture de Marcel Dubé, mais également l’acuité de la description de ses personnages et la richesse de son regard sur son époque. « Tant qu’à moi, son oeuvre se compare à du Tennessee Williams et à du Roger Lemelin. » 

Moderne, mais respectueux de l’œuvre originale 

Alors que de nombreuses œuvres trahissent cruellement l’époque de leur conception, Zone demeure toute aussi efficace qu’en 1953. Quelques légers détails ont toutefois été adaptés dans l’édition que présentent les Treize cette semaine : témoin d’un temps où la femme se voyait trop souvent confinée à la sphère privée, alors que l’homme pouvait s’épancher allégrement dans la sphère publique, la pièce présente sept personnages masculins pour un seul de sexe féminin. La version 2018 voit les rôles distribués équitablement parmi la distribution, sans pour autant modifier le texte. « Pour conserver la jeunesse et la naïveté de ce texte-là, il fallait que ce soit quelque chose qui corresponde aux valeurs de la jeunesse contemporaine », selon Thomas Rodrigue. 

Tandis qu’au niveau de la spatialité, aucun changement n’a été apporté à la pièce originale – l’action se situe à Montréal, présumément dans le quartier Saint-Henri – la temporalité du texte a été réimaginée afin d’offrir un intéressant contraste, sujet à réflexion. Seule la scénographie en porte les traces, toutefois : le squat des jeunes se réfère aux années 80, avec une esthétique « plus punk, grunge, underground », rappelant le Mur de Berlin, alors que les personnages adultes demeurent bien ancrés dans leurs années 50, berceau du « maccarthysme, de la chasse aux sorcières ». « On a créé une espèce d’intemporalité dans laquelle les jeunes seraient dans une espèce d’espace-temps au niveau du décor et des costumes, pour accentuer le clash générationnel. » 

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