Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale. (8 mars 2025). Manifestation de la Journée internationale du droit des femmes à Québec [photographie en ligne]. Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale (Portneuf-Québec-Charlevoix). https://rgfcn.org/journee-internationale-des-droits-des-femmes-encore-en-lutte/

Être féministe en 2025

À l’occasion de ce mois de l’histoire des femmes, je crois qu’il est important de s’asseoir et de réfléchir un peu à la situation actuelle du féminisme, et aux menaces bien réelles d’un recul en ce qui concerne les droits des femmes.

Par Julianne Campeau, journaliste collaboratrice

Il y a environ deux ans, ma mère, qui est employée au Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale (RGF-CN), m’a envoyé une invitation Facebook pour participer à un rassemblement-éclair sur l’avenue Honoré-Mercier. Ces rassemblements-éclairs, le RGF en organise à chaque fois qu’il y a un féminicide dans la province. Cette fois, c’est le meurtre de Robyn-Krystle O’Reilly qu’on vient dénoncer. J’arrive au point de rencontre, vêtue de noir, comme demandé, en me disant que ce sera une manifestation comme les autres, à l’exception du fait que cette fois, nous ne bloquons aucune route. Limite, nous ne sommes qu’un très léger obstacle à contourner pour les piétons qui traversent la rue. Je suis donc très surprise lorsqu’un cycliste nous lance, l’air fâché : « Vous savez, ça existe aussi des homicides! ». Oui, certes, mais il y en a moins. Si on manifeste pour dénoncer les féminicides, c’est parce que c’est rendu qu’il y en a tellement que c’est devenu un problème de société. Un peu plus tard, un homme serre de force la main d’une employée du RGF et refuse de la lâcher. Vers la fin du rassemblement, une espèce d’homme de cromagnon nous crie, depuis sa voiture : « Fuck you, you dumb fucking sluts! ». Première fois de ma vie qu’on me lance une insulte du genre. Je ne comprends pas ces hostilités : nous ne faisons que tenir des pancartes sur les îlots de l’avenue Honoré-Mercier! Nous ne bloquons même pas la rue! Ça m’a profondément perturbée…

Dans les deux ans qui ont suivi, les rassemblements-éclair sont devenus de plus en plus fréquents. Le 6 décembre 2024, alors que l’année n’était même pas encore finie, on recensait 25 féminicides au Québec, alors que l’année précédente : « nous étions à 10 à la même date » (RGF-CN, 2024). Quelques mois plus tôt, une manifestation pro-choix a été lourdement réprimée par la police de Québec. Les logements abordables sont demeurés rares, forçant plusieurs femmes à rester avec leur conjoint violent. Le gouvernement a réduit son aide financière aux organismes communautaires, dont les groupes militant pour les droits des femmes. Les influenceurs masculinistes continuent de gagner en popularité, ainsi qu’un nombre croissant d’influenceuses antiféministes, qui affirment que le féminisme et le mouvement LGBTQIA2+ sont des fléaux sociétaux. Chez nos voisins du Sud, plusieurs États ont criminalisé de nouveau l’avortement. En novembre dernier, à mon plus grand découragement, Donald Trump, un homme ouvertement misogyne qui n’est pas près de défendre le droit à l’avortement, a été réélu président des États-Unis.

Et ça ne s’arrête pas là : selon ONU Femmes, un quart des pays auraient connu un recul en ce qui concerne les droits des femmes dans les dernières années. Les défenseuses des droits de l’Homme sont constamment victimes d’intimidation et de répression, souvent de la part des institutions étatiques, qui ont pourtant pour responsabilité de les protéger. Ceci serait grandement lié à la montée des mouvements d’extrême droite, allergiques au changement sous toutes ses formes. Celleux qui adhèrent à ce mode de pensée se présentent en défenseurs des « vraies valeurs » et des « traditions » sans tenir compte du fait que celles-ci évoluent au fil des siècles, et que les civilisations humaines sont en constante transformation depuis les débuts de leurs existences. Si ces mouvements ont de quoi inquiéter, ONU-Femmes ne manque toutefois pas de rappeler, trente ans après la signature de l’accord de Beijing, les progrès qui ont été accomplis dans les trois dernières décennies : 87 pays ont été dirigés au moins une fois par une femme, les filles et les femmes ont de plus en plus accès à l’éducation, et donc au monde du travail, les mariages infantiles ont diminué, etc. D’ailleurs, alors que l’Afrique subsaharienne est généralement en retard en ce qui concerne les droits des femmes, il est à noter que le Rwanda est le pays où, à l’échelle mondiale, les femmes sont le mieux représentées dans les institutions étatiques, représentant 61% des députés. Selon l’Institut de la statistique du Québec, la proportion de femmes détentrices d’un diplôme universitaire est plus élevée que chez les hommes (37,6% contre 29,2%). Je me demande : les hommes (et certaines femmes) qui disent que les femmes sont inférieures aux hommes ont-ils lu ces statistiques? Lorsqu’on se base sur les faits, et non sur une supposée « tradition », on constate que les femmes sont non seulement capables de réussir à l’école et de performer professionnellement, mais elles sont aussi tout à fait aptes à diriger un pays. Le fait de jouer un rôle sur les sphères publiques et professionnelles ne nous empêche d’ailleurs pas de devenir mères, si on le souhaite : en 2018, Jacinda Ardern a donné naissance à son premier enfant, tout en occupant le poste de première ministre de la Nouvelle-Zélande.

Je n’en reviens pas qu’en 2025, il y a encore des gens assez ignorant.es pour justifier l’oppression à partir d’un argumentaire basé sur une « tradition » en constante mutation et/ou sur une religion en laquelle toustes ne croient pas nécessairement. Bon, ma dernière phrase est quelque peu agressive, j’en conviens, mais il faut me comprendre : je suis en colère. En colère contre ces idiots qui veulent m’empêcher d’exercer une influence sur le monde dans lequel je vis pour la simple raison que je suis née fille. En colère de constater que tant d’individus croient les niaiseries des Andrew Tate de ce monde. En colère de devoir encore, en 2025, défendre des droits qui devraient aller de soi.

 

Sources consultées

Entité des Nations unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Rwanda. ONU-Femmes. https://africa.unwomen.org/fr/where-we-are/eastern-and-southern-africa/rwanda

Entité des Nations unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Women’s Rights in Review, 30 Years After Beijing. Entité des Nations unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. https://www.unwomen.org/sites/default/files/2025-03/womens-rights-in-review-30-years-after-beijing-en.pdf

Institut de la statistique du Québec. Niveau de scolarité. https://bib.umontreal.ca/citer/styles-bibliographiques/apa?tab=5248896

Regroupement des groupes de femmes de la Capitale-Nationale (Portneuf-Québec-Charlevoix). Journée de commémoration et d’actions contre les violences faites aux femmes. Regroupement des groupes de femmes de la Capitale-Nationale (Portneuf-Québec-Charlevoix). https://rgfcn.org/journee-de-commemoration-et-dactions-contre-les-violences-faites-aux-femmes/

Regroupement des groupes de femmes de la Capitale-Nationale (Portneuf-Québec-Charlevoix). Répression du droit de manifester et brutalité policière à Québec lors des actions du 1er juin pour le droit à l’avortement. Regroupement des groupes de femmes de la Capitale-Nationale (Portneuf-Québec-Charlevoix). https://rgfcn.org/repression-du-droit-de-manifester-et-brutalite-policiere-a-quebec-lors-des-actions-du-1er-juin-pour-le-droit-a-lavortement/

Wallenfeldt, J. (2025). Jacinda Ardern. Dans Encyclopaedia Britannica. https://www.britannica.com/biography/Jacinda-Ardern

Wright, L. (2025, 6 mars). Jeunes, Américaines et antiféministes [reportage]. Dans E. Gauthier (réalisatrice), Les grands reportages, Mindhouse Productions LTD, BBC.

Auteur / autrice

Consulter le magazine