ALÉNA : Comment envisager les négociations?

Une sixième ronde de négociation s’amorcera mardi prochain à Montréal entre les représentants du Canada, des États-Unis et du Mexique, afin de revoir les termes de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) qui causent litige, selon l’administration Trump. Signée en 1992 par le président américain George H. W. Bush, le premier ministre canadien Brian Mulroney et le président mexicain Carlos Salinas de Gortari, l’entente crée dès lors la plus grande zone de libre-échange au monde, en plus d’établir des conditions de concurrence équitable entre les pays signataires.

Les tensions semblent s’être accentuées entre les acteurs impliqués dans l’Accord, dans un contexte où le Canada est en processus de plainte à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En effet, celle-ci s’observe en réponse aux politiques protectionnistes américaines, caractérisées par une série de taxes antidumping touchant l’exportation du bois d’œuvre, des pâtes et papiers et de la CSeries de Bombardier.

De surcroît, le président américain s’est permis de déclarer dans un tweet cette semaine que l’ALÉNA était « une mauvaise blague ». Ceci vient une fois de plus ébranler la confiance mutuelle des négociateurs.

C’est dans ce climat d’incertitude économique qu’Impact Campus s’est entretenu avec M. Louis Bélanger, professeur titulaire en science politique à l’Université Laval et directeur de l’Institut québécois des hautes études internationales (HEI). La rencontre avait pour objectifs de faire un constat de la situation, en plus de déterminer les conséquences d’un éventuel échec de la renégociation de l’ALÉNA.

Reconduite peu probable

Selon M. Bélanger, trois scénarios sont possibles en ce qui concerne le dossier de l’ALÉNA : la renégociation fonctionne et l’ALÉNA est modifié, la renégociation ne fonctionne pas, mais les acteurs ne se retirent pas de l’Accord, ou les Américains se retirent simplement de l’entente. Il ajoute cependant que, parmi les trois options, la possibilité d’une reconduite de l’ALÉNA est très faible.

En ce sens, M. Bélanger ajoute que les contextes sociopolitiques du Mexique et des États-Unis ne favorisent pas non plus un avenir prometteur pour l’Accord. En effet, il faut selon lui considérer qu’une élection présidentielle aura lieu au Mexique le 1er juillet 2018, tout comme une élection de mi-mandat aux États-Unis en novembre prochain.

De ce fait, si la sixième ronde de négociations ne se passe pas mieux que les dernières, les campagnes électorales respectives de ces acteurs forceront une période de latence durant laquelle les négociations seront ralenties. Ainsi, les prochaines semaines seront déterminantes, prévient le spécialiste, puisque l’anticipation de cette situation pourrait aisément donner lieu à un retrait prématuré des États-Unis.

Lorsque questionné sur les potentiels avantages qu’auraient les États-Unis de se retirer de l’ALÉNA, M. Bélanger ne peut s’empêcher de déclarer : « ça, c’est un grand mystère! » « La position américaine, je pense, est davantage idéologique que fondée sur des analyses de retombées économiques », ajoute-t-il.

Survivre sans l’ALÉNA

Selon l’administration Trump, l’Accord engendre un déficit économique important. Donc, en l’abandonnant, elle croit qu’il y aura un rééquilibrage de la balance commerciale à leur avantage. Cependant, les experts semblent en désaccord avec ce postulat, déclare l’enseignant, citant en exemple les exportations agricoles et automobiles américaines. Selon lui, toutes deux seront très fortement et négativement affectées par une interruption du partenariat.

Il souligne par la suite que le Québec, comme les autres provinces, est très dépendant des exportations vers les États-Unis. « Ça ne serait pas la fin du monde demain matin », rassure Louis Bélanger. Les exportations vers les États-Unis pourraient évidemment continuer, mais avec des tarifs et des conditions beaucoup moins avantageux, avoue l’expert. De plus, il prévient que la fin de l’ALÉNA s’inscrirait dans une phase de frénésie dans l’utilisation des recours commerciaux à saveur protectionniste mentionnés ci-dessus. Ceci est de mauvais augure pour les Canadiens.

Les autres accords économiques internationaux dont bénéficie le Canada semblent constituer une relative consolation pour l’économie canadienne, mais on ne peut compter sur ceux-ci pour complètement amortir l’impact économique qu’aurait une sortie des États-Unis de l’ALÉNA, déclare le spécialiste. Il cite en exemple l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne, qui est profitable pour le Canada, mais qui n’inclura bientôt plus le marché qu’est le Royaume-Uni, notre principal partenaire commercial au sein du Vieux Continent, à la suite du Brexit. M. Bélanger évoque aussi au passage le partenariat transpacifique, récemment ratifié, mais qui n’inclut qu’un seul partenaire économique majeur du Canada : le Japon.

Ainsi, le futur de l’accord trilatéral repose entre les mains des négociateurs, notamment la ministre des Affaires étrangères du Canada Chrystia Freeland et son homologue Robert Lighthizer des États-Unis. Ils devront en autres s’entendre mardi prochain sur le point le plus litigieux de tous : celui de la gestion de l’offre.

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