Illustration : Jean-François Latouche

La Chine à double tranchant

La récente adoption, par le Parti communiste chinois d’une nouvelle constitution, permet au Président Xi Jinping de renouveler plusieurs fois son mandat politique. Réélu à l’unanimité le 16 mars 2018, Xi Jinping affirme sa position d’homme fort du pays, et envoie également un message révélateur au reste du monde selon Fred Bild, spécialiste de la Chine et professeur invité au Centre d’études de l’Asie de l’Est de l’UdeM.

C’est sans surprise que Xi Jinping a été réélu le 16 mars dernier par l’Assemblée Populaire de Chine pour un nouveau mandat de 5 ans. Au pouvoir depuis le 14 mars 2013, sa réélection fait suite à la récente réforme de la Constitution qui lui permet ainsi de renouveler ses mandats politiques autant de fois qu’il le souhaite.

Fred Bild, ancien professeur de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), observe l’actualité de la Chine avec une certaine distance. Spécialisé sur les questions géopolitiques de l’Asie de l’Est, le passé de la Chine pourrait expliquer selon lui sa puissance actuelle et cette décision politique.

« Il n’y a pas d’élections générales, le peuple a cédé son droit de vote au Congrès des Partis, c’est le parti communiste qui contrôle tout », explique Fred Bild. « Il choisit ses membres, rappelle-t-il. C’est une tradition qui dure depuis la période de Mao Zédong. »

Une tradition qui limite les hommes politiques à se présenter à deux mandats avec un départ à la retraite fixé à 70 ans. « Cela amenait ainsi une régularité dans le système politique chinois, car on s’attendait tous les 10 ans à ce schéma. Mais Xi Jinping ne se satisfait pas de ces coutumes et ne veut plus se limiter à la règle, décrypte Fred Bild. Il veut rester au sommet, mais toute sa vie. Avec ce geste politique du  »oui », le monde entier doit se faire à l’idée qu’il va rester au pouvoir encore quelque temps », confirme-t-il.

Considéré comme un gage de régularité, il est difficile de remettre en cause un régime communiste qui dure et contribue à cette stabilité politique. Une stabilité qui a ainsi permis à la Chine de faire une planification également économique, et qui s’affirme comme l’une des puissances les plus solides sur le plan mondial.

Une économie mondialement influente

Depuis les années 80, la Chine s’est développée et imposée sur le plan mondial comme une économie moderne et puissante. Cela s’explique, selon Fred Bild, par une capacité qu’il juge « extraordinaire » de la part de la Chine à exploiter son potentiel économique.

« La Chine a toujours été une puissance économique potentielle, et l’on oublie très souvent que le pays était un grand exportateur bien avant la période de Mao Zédong ! », affirme le professeur. Un potentiel largement favorisé par la population chinoise, qui selon les chiffres de la Banque Mondiale en 2016, était estimée à 1,379 milliards de personnes.

Une force que le gouvernement chinois a développée en concentrant ses efforts sur l’éducation de sa population. Une stratégie qui s’est révélée gagnante pour le pays, et dont Xi Jinping en récolte de manière légitime les bénéfices.

En effet de nombreux pays dont le Canada, cherchent à créer des partenariats avec la Chine pour d’éventuels investissements et contrats, le pays étant désormais réputé pour son économie florissante, ainsi que pour ses innovations technologiques et scientifiques.

Les zones d’ombre du pouvoir

Les relations économiques s’expliquent en partie la discrétion de la Communauté internationale face à cette décision politique de la part de Xi Jinping. « Ces pays sont habitués à s’allier à la Chine, et la machine est en marche depuis longtemps, car Xi Jinping en restant au pouvoir, leur donne aussi l’assurance d’une stabilité économique », explique Fred Bild.

Une stabilité à double tranchant, la Chine restant toutefois un pays où la corruption est institutionnalisée. « Ce qui complique les choses avec la Chine, c’est que la corruption est presque instituée dans le système économique. C’est un risque pour les étrangers, car si on veut investir en Chine, on doit en avoir conscience », confirme Fred Bild, non sans ironie.

Néanmoins, les initiatives politiques de Xi Jinping soulèvent également quelques vents de contestations vite réprimandés dans le pays. Si beaucoup de personnes, dont des intellectuels, saluent la réélection de Xi Jinping au pouvoir, d’autres voient cette situation d’un mauvais œil.

Le récent discours du président chinois, deux jours après sa réélection, a en effet de quoi inquiéter les voix dissidentes pour les jours à venir. Affirmant un discours très nationaliste, l’homme fort de la Chine a fait voter une nouvelle loi le 20 mars dernier, la Commission Nationale de Supervision (CNS).

Il s’agit d’un nouveau gendarme du pouvoir, dont la surveillance va se concentrer essentiellement sur les enseignants, les fonctionnaires ou encore les médecins. Une nouvelle commission qui risque une fois de plus de bafouer une liberté d’expression toujours aussi fragile.

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