Chine : vers un ordre mondial alternatif?

Un être humain sur cinq vit en Chine. Pays exportateur par excellence, « l’atelier du monde » prend une place toujours croissante dans l’économie mondiale, notamment grâce à son colossal excédent commercial qui lui a permis d’acheter une partie de la dette des États-Unis, de l’Allemagne et de la France, notamment. De plus en plus présente dans les pays en développement, quelle vision du monde propose la Chine?

Oxford, en Angleterre : les couloirs austères de la prestigieuse université britannique ont réuni, en août, une trentaine d’universitaires et intellectuels chinois. Un peu comme les réunions des partis communistes occidentaux dans les années 1950, la rencontre se fait en toute discrétion ; ses participants, de facto condamnés à être honnis dans leur pays d’origine pour leurs idées, à l’image du Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix de 2010, condamné à 11 ans de prison pour ses positions contradictoires avec le parti communiste chinois.

À Oxford, les notables de la diaspora élaborent une charte. Ils sont libéraux, socialistes, chrétiens ou néo-confucéens (modernisation de la pensée de Confucius). Ce qu’ils veulent : une Chine attachée à la construction d’un ordre mondial plus juste, plus équitable, « de manière à servir les intérêts de tout le peuple chinois comme ceux de toute l’humanité ».

Au même moment, de l’autre côté de la planète, le maire de la ville de Nankin Ji Jianye profite de ses derniers moments au pouvoir de la ville de huit millions d’habitants, la plus riche du pays. Il ne reste que quelques mois à M. Ji avant que n’éclate au grand jour un scandale de corruption à grande échelle, qui révèle que le maire a détourné environ 20 millions de Yuans (3,4 millions de dollars canadiens) à son compte.

Les Chinois ont procédé, cette année, à un grand ménage des politiciens corrompus au sein du Parti communiste chinois (PCC). Ce n’est que question de temps avant qu’il ne rejoigne en prison son collègue Bo Xilai, ancien secrétaire de la mégalopole de Chongqing, condamné le mois dernier pour une affaire de corruption similaire.

Cela n’est pas sans rappeler le troublant parallélisme avec la situation au Québec, où l’escouade policière Marteau et la commission d’enquête publique sur la corruption et la collusion dans la province ont fait tomber des têtes dans un milieu politique municipal virtuellement inamovible depuis parfois plus d’une décennie. En Chine comme en Occident, le 21e siècle pourrait-il devenir celui de la pression populaire pour une meilleure gouvernance ?

Toutefois, la comparaison entre la gouvernance du Québec à celle de la Chine s’arrête ici. Alors qu’au Québec, ce sont les journalistes de Radio-Canada qui ont révélé les pratiques scandaleuses du milieu municipal, de telles révélations par des médias publics chinois relèvent de la science-fiction. En Chine, le contrôle serré des médias de masse rend impossible ce genre de journalisme d’intérêt public.

Si le poids de ce pays dans l’économie ne cesse de croître, au point où les Chinois sont de plus en plus présents sur tous les continents, en particulier en Afrique, le problème de la bonne gouvernance risque tôt ou tard de miner son « soft power », sa capacité à partager sa vision du monde. En particulier en Afrique subsaharienne, où les investissements directs étrangers dépassent désormais les montants d’aide au développement, la Chine devient un acteur incontournable des grands projets d’extraction des ressources naturelles, souvent en toute complaisance avec les régimes parmi les moins démocratiques. Sur place, l’enthousiasme de la présence chinoise est tiède : l’Afrique devient un débouché pour les produits manufacturés chinois, en échange de l’accaparement des matières premières. Voilà exactement ce que faisaient les puissances coloniales d’autrefois.

L’appel des universitaires d’Oxford est ainsi un avertissement plus que jamais d’actualité au XXIe siècle. Le régime autoritaire chinois est peut-être effectivement viable avec une économie de marché, mais vient aujourd’hui nuire au désir du pays de prendre sa juste place à l’international. Mais pour que la Chine arrive à « servir les intérêts de tout le peuple chinois comme ceux de toute l’humanité », elle devra probablement sacrifier sa doctrine autoritaire et accepter de faire suivre à sa réforme du système économique un changement en profondeur de ses institutions démocratiques, en premier lieu les médias.

Auteur / autrice

  • Boris Proulx

    Terminant ma maîtrise en journalisme international, je profite de ma dernière année à Québec pour m'investir dans les médias étudiants. Vous pouvez me suivre des les pages internationales du journal Impact Campus ou à la tête de l'émission Le Monde Bouge, le dimanche 18h sur CHYZ 94,3 à Québec.

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