La journée du 8 décembre 2024 aura marqué un point tournant dans l’histoire de la Syrie, alors que la nouvelle de la chute du régime Assad a surpris l’ensemble de la communauté internationale, ce dimanche matin. En seulement quelques jours, les forces de l’opposition ont renversé la dictature de la famille el-Assad, imposé aux Syriens depuis 54 ans. Ce revirement inattendu a plongé le pays dans une atmosphère exaltante de libération, sous-tendue par un fond d’incertitude face à l’avenir et d’une horreur grandissante alors que le voile se soulève sur les atrocités enfouies au cœur du régime.
Par Juliette Lefebvre, journaliste collaboratrice
Quelques jours plus tôt, les offensives des rebelles, menées par l’organisation Hayat Tahrir al-Cham, ont permis de prendre le contrôle de la ville de Homs, suivie rapidement par celle de Damas, la capitale du pays où résidait le président Bachar al-Assad. Face au peu de résistances appliquées par les fidèles du régime, celui-ci a dû fuir aussitôt pour se réfugier en Russie. Les raisons derrière l’évolution fulgurante des forces de l’opposition menant à la chute du régime supposent un alignement de plusieurs situations fragilisant le soutien des alliés de la dynastie Assad, telles que le conflit russo-ukrainien et l’épuisement de l’armée syrienne, en guerre depuis plus de douze ans.
Une confusion demeure, cependant, quant à la direction que prendra la situation politique du pays. À l’instant, le gouvernement de transition syrien est sous le contrôle du chef du groupe Hayat Tahrir al-Cham, Abou Mohammed al-Joulani. Celui-ci a fondé le HTC en 2017, en fusionnant plusieurs groupes rebelles syriens, dont l’un d’eux était préalablement affilié à l’organisation terroriste islamiste Al-Quaïda. De plus, le HTC fait partie des groupes rebelles financés par la Turquie, qui a d’ailleurs ouvertement déclaré son intention de soutenir militairement le nouveau gouvernement syrien en cas de besoin. Bien que le groupe affirme avoir rompu avec le djihadisme et maintienne le premier ministre et les gouverneurs civils en place pendant un certain temps, rien n’assure que la transition se fera de manière stable et en respect des droits humains de tous. La précarité dans laquelle se retrouve actuellement la Syrie, après plus de douze ans de guerre civile et de violentes répressions, plonge le pays dans un besoin considérable d’aide humanitaire et soulève la nécessité d’entamer un processus de guérison collectif.
La disparition abrupte de ce régime d’oppression permet maintenant de véritablement reconnaître l’ampleur des crimes commis au courant des dernières décennies. L’ouverture des portes de la prison de Saidnaya, dans le nord de Damas, laisse entrevoir les conditions effroyables réservées aux prisonniers, qui pouvaient s’y retrouver de manière totalement arbitraire. Une enquête d’Amnistie internationale avait déjà estimé qu’environ 13 000 d’entre eux avaient été pendus entre 2011 et 2015, mais les découvertes de cadavres récents à la prison, portant des signes de tortures, dont certains en sont décédés, indiquent que l’horreur a continué jusqu’à la toute fin.
Des milliers de Syriens cherchent à présent leurs proches disparus dans les nombreuses autres prisons comme celle de Saidnaya, ayant retrouvé une lumière d’espoir de les revoir, au mieux, ou alors d’enfin pouvoir amorcer leurs deuils. Tous ont soif de justice, mais le désir de vengeance se fait aussi sentir alors que la fausse rumeur de la pendaison publique d’un proche de Bachar al-Assad a réuni sur place des centaines de Syriens agités, scandant que « La liberté passe d’abord par la vengeance ».
Un lot de défis se présente à l’horizon dans la reconstruction du pays, et alors que certains pays d’Europe ont suspendu l’examen des demandes d’asiles des réfugiés syriens dès le lendemain de la chute du régime, d’autres prônent la prudence et un prolongement du soutien offert à ceux-ci puisque, comme déclarées par le porte-parole de la Commission européenne, « les conditions ne sont pas réunies pour des retours sûrs, volontaires et dignes en Syrie ».