Les migrations internationales de populations sont un phénomène qui n’est pas totalement démystifié. Plutôt récente, la mobilité de la population à l’échelle mondiale croit chaque année, de sorte que la communauté internationale commence timidement à s’y intéresser. Catherine Withol de Wendel était de passage à l’Université Laval mardi passé pour dresser un portrait actuel de la situation.
Catherine Withol de Wenden, directrice du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) Sciences Po de Paris, a tenu cette conférence autour du thème de gouvernance globale des migrations. Celle-ci se déroulait dans le cadre d’une série de cinq conférences proposées par les Hautes Études Internationale et ayant pour thème : les migrations internationales.
C’était le premier passage à Québec de Mme Withol de Wenden depuis 1993 et, à cette époque, la mobilisation des populations et l’idée que la communauté internationale devait fixer un cadre législatif pour protéger les populations migrantes n’étaient pas encore des enjeux préoccupants. Les migrations étaient moins importantes qu’à l’heure actuelle. Pour la directrice du CERI, cela est dû à un phénomène en particulier : le droit de sortie.
« Il y a 20 ans, il était beaucoup plus difficile de se procurer un passeport dans une bonne majorité des pays émergents. On avait la pensée que c’était mieux de garder sa population dans les limites du pays, les mentalités ont changé au fil du temps », explique-t-elle. Même si on peut constater un droit de sortie de plus en plus émergent pour les migrants, il y a, paradoxalement, un droit d’entrée beaucoup plus restreint qui rend l’immigration plus difficile.
Un droit d’entre plus difficile
Pourquoi est-ce que le droit d’entrée est plus difficile ? Parce que les États souverains, surtout du Nord, tentent de conserver leur souveraineté territoriale et surtout de l’affirmer dans un contexte de mondialisation de plus en plus imposant et qui remet maintes fois en question la pertinence de l’État-nation. Ainsi, le droit d’entrée est soumis à des procédures parfois longues et difficiles que les immigrants plus pauvres ne peuvent souvent pas assumer. D’ailleurs, il existe une forte inégalité migratoire, les riches ont davantage la possibilité de se déplacer dans le monde que les plus pauvres. Cette inégalité parle avec des chiffres qui sont tout de même surprenants : seulement 3% de la population mondiale est mobile et le 2/3 ne peut pas circuler librement.
On parle souvent des gens du Sud qui émigrent vers les pays du Nord ou vers les autres pays du Sud, notamment à cause de la pauvreté, des guerres civiles et de l’espoir d’une meilleure qualité de vie. Mais il ne s’agit que de 50% des migrants qui proviennent du Sud. D’où vient l’autre moitié? Du Nord! En effet, il est autant possible que les gens du Nord migrent vers le Sud, ou vers un autre pays développé, que le contraire et cela pour plusieurs raisons. La crise économique de 2008 a été difficile dans certains pays européens, ce qui a provoqué une émigration d’occidentaux sur le chômage vers les pays d’Amérique latine ou encore vers le Maghreb où le coût de la vie est moins élevé et l’entrée est plus facile. Rendu sur place cependant, la réalité est tout aussi difficile qu’un migrant qui met les pieds sur la rive nord de la Méditerranée ou de l’Amérique. L’obtention de la citoyenneté est souvent difficile et un visa est généralement nécessaire. L’immigration des gens du Nord peut aussi être causée par le besoin de soleil et de températures plus chaudes ou encore par le désir de lancer une entreprise dans un pays où les coûts sont moindres.
Encadrer les migrations
Ainsi, depuis une vingtaine d’années, il y a de la mobilité partout dans le monde et une minorité d’États plus puissants dictent les règles du jeu en matière de migrations. L’enjeu devient de plus en plus difficile à gérer et la sécurité des migrants est difficile à assurer. Ce pourquoi on tente d’établir un cadre législatif international qui permettrait de fixer des normes en matière d’immigration et d’émigration. C’est ce qu’on appelle la gouvernance globale des migrations.
Les premières initiatives ont lieu en 1990 alors que 48 pays, tous émergents et du Sud, signent un traité sur les droits des travailleurs migrants et de leurs familles. Aucun pays du Nord ne semble prêt à signer cette entente, car, rappelons-le, elle remettrait en question l’affirmation de leur souveraineté. Depuis 2007, on organise des forums internationaux avec différentes thématiques qui permettent de discuter de gouvernance globale des migrations, de la situation des travailleurs migrants, de la situation des femmes et des enfants ou encore des politiques migratoires. L’ONU y est représentée par un secrétaire général; les forums ont donc une possibilité de visibilité en Occident.
« Le problème, c’est que le droit individuel de mobilité n’est pas reconnu internationalement, donc les États ont encore la souveraineté sur cette question et il est difficile de s’entendre », signale Catherine Withol de Warden. « Malgré l’appui de 14 organismes internationaux, de plusieurs ONG, de plusieurs pays émergents, des altermondialistes, des défenseurs des droits de l’homme et d’une partie de la société civile, la question de la gouvernance globale des migrations se discute timidement. Le G8 et le G20 tentent même d’éviter la question », ajoute-t-elle.
Ce n’est pas seulement en Occident qu’on ne voit pas d’un bon oeil un cadre législatif international. Bien des pays d’immigrations sont résistants à cet éventuel changement par peur d’avoir à assumer des coûts plus élevés pour assurer la sécurité et l’intégration des nouveaux arrivants. De plus, certains pays dotés de partis d’extrême-droite anti-immigration ne facilitent pas la tâche : plus les étrangers affluent sur la frontière, plus on a peur pour la survie de la nation. La plupart des États participants aux forums sont des pays d’émigration qui souhaitent qu’on protège leurs ressortissants, or certains d’entre eux ont de la difficulté à protéger et à accueillir les immigrants.
« Pourtant, les migrations, c’est quelque chose de très positif! L’immigration rapporte beaucoup plus qu’elle coûte; il y a une utilité économique et surtout intellectuelle à la mobilité, affirme Mme de Warden. J’aurais du mal à voir le monde d’aujourd’hui sans mobilité. »
Même si la partie n’est pas gagnée, la gouvernance globale des migrations est un enjeu qui prend de plus en plus de place dans le débat international. À l’heure actuelle, le principal défi est d’assurer la sécurité des migrants et surtout d’amener les pays développés à signer l’entente de 1990.
Lorsqu’on a demandé l’avis de Catherine de Wenden sur la politique d’immigration du Canada, elle a répondue : « C’est pour moi l’un des meilleurs pays d’immigration au monde! Il y a une certaine valeur de vivre-ensemble et une bonne gestion de l’immigration qui ne sont pas présentes chez la plupart des ses alliés. » Rassurant n’est-ce pas?