Trois intervenants, trois perspectives bien différentes sur la situation des réfugiés et sur leur accueil en terre canadienne. Retour sur la conférence « Dans la peau d’un réfugié » organisée par la branche lavalloise d’Amnistie internationale et présentée la semaine dernière au pavillon Charles de Koninck.
« L’Europe aurait dû se doter d’un plan d’accueil digne de ce nom il y a vingt-cinq ans, lors de la précédente crise », affirme-t-il, en référence à la précédente vague de réfugiés issue de l’ex-Yougoslavie, dans les années 1990.
Qui plus est, il est normal que les guerres civiles qui ébranlent divers pays du Moyen-Orient depuis le printemps arabe poussent les gens à fuir. « Plus de 1500 groupes armés se font la guerre en Syrie. Plusieurs villes de ce pays, dont la deuxième en importance Alep, sont des champs de ruines », déplore-t-il.
Or, les pays d’accueil « naturels » de ces nombreux émigrés que sont la Turquie ou la Jordanie ne suffisent plus à la demande. Submergés et saturés, ils forcent les victimes collatérales de ces conflits à se tourner vers d’autres horizons plus prospères. Autrement dit : vers l’Europe.
Malheureusement, « les sociétés européennes ne veulent plus accueillir personne », même si elles en ont la capacité. Car, selon lui, on se cache derrière des prétextes pour éluder ce constat. « Un million de réfugiés, ça ne reste que 0,02% de la population de l’Union européenne !, fait-il valoir. La volonté politique de résoudre ce problème n’est tout simplement pas là. »
Et qu’en est-il du Canada, qui prévoit accueillir 25 000 réfugiés syriens d’ici la fin de l’année ? « Oui, on désire ouvrir nos frontières. Mais au fond, 25 000 réfugiés, c’est si peu », laisse-t-il tomber. « J’espérais vous laisser sur un message un peu plus optimiste, mais y’en a pas », conclut-il, plongeant l’audience dans un silence suintant le malaise.
« Nous travaillons de l’arrivée jusqu’à l’intégration complète des émigrants, sur des durées pouvant aller jusqu’à cinq ans », explique l’ancienne réfugiée bosniaque. Chaque année, l’organisme voit passer de 1200 à 1500 réfugiés, soit un peu moins de la moitié des 3000 à 4000 émigrants que la Ville de Québec accueille. À noter que ce sont les réfugiés pris en charge par l’état qui passent obligatoirement par le Centre, et non ceux parrainés.
« Le processus d’accueil initial s’étale sur trois à six jours durant lesquels nous veillons à tous les besoins de base des réfugiés. Signature de bail, ouverture d’un compte en banque, inscription des enfants à l’école, achat de nourriture à l’épicerie, modes de transport : rien n’est négligé », affirme-t-elle. Le but : faciliter « l’atterrissage » qui, parfois, est brutal.
Et puis ensuite ? Les vingt-huit employés ponctuels travaillent d’arrache-pied, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, afin de subvenir aux moindres besoins des nouveaux arrivants. Au menu : beaucoup de temps supplémentaire et d’interventions aussi bien individuelles que collectives. « On agit vraiment comme une béquille pour eux », illustre-t-elle.
Originaire de la Yougoslavie, Sérif a vu monter les nationalismes des différentes républiques membres de ce pays qui a éclaté à la fin de la guerre froide au début des années 1990. Il a surtout été une victime collatérale, à l’âge de 35 ans, des nombreux conflits armés sur fond racial et religieux qui ont éclaté dans la foulée.
Fait « prisonnier de guerre » par « nos voisins qui nous tiraient dessus alors qu’on jouait au soccer ensemble quelques jours auparavant », il a vu des siens mourir sous ses yeux pour des raisons aussi absurdes que choquantes. Le ton posé, il raconte les cinq mois qu’il a passés dans une ancienne mine de fer, où il a été battu, torturé et presque liquidé. « Nous étions 2500 en y entrant. Nous en somme sortis et nous n’étions plus que 1500 », dit-il
Il détaille son rationnement quotidien à un certain point de sa captivité. « On nous donnait un quart de pain et une feuille de choux aux quatre jours. Avec le travail que je devais abattre quotidiennement, j’ai perdu plus de 30 kilogrammes. Et je ne parle pas des plans d’eau souillés auxquels nous nous abreuvions… », décrit-il.
Son calvaire se finit officiellement le 23 janvier 1993, alors qu’il débarque à Québec, « le paradis » selon lui. C’est à la suite d’un rigoureux processus de sélection par le Canada qu’il s’amène ici. Comment a été son accueil ? « Très chaleureux », se rappelle-t-il.
Sans vouloir dresser de trop nombreux parallèles entre ce qu’il a vécu et les événements d’aujourd’hui, Sérif Pervanic ne peut s’empêcher de voir des similitudes. « C’est le même niveau d’atrocité. N’importe qui y serait confronté aurait le goût de fuir. »