Ce jeudi, l’Ukraine était victime d’une invasion à grande échelle par l’armée russe. Vladimir Poutine justifiait son intervention en prétextant le génocide des populations russes de l’est du pays et prétendait qu’on lui forçait la main. Alors que les mouvements de troupes à la frontière laissaient présager un conflit, les pays occidentaux retiraient leurs troupes, laissant ainsi l’Ukraine seule, en sous-nombre et moins bien équipée que ses adversaires. Malgré les reculs en divers endroits, l’armée ukrainienne résiste pour l’instant. Pour comprendre ce qui motive les actions russes et les positions de l’Occident, nous avons fait appel à deux expert.e.s de la politique internationale.
Par Ludovic Dufour, Chef de pupitre société
«Du point de vue de la Russie, l’Ukraine fait partie de son histoire, ou de son territoire», nous dit Madame Anessa Kimball, professeure en relations internationales et directrice du Centre sur la sécurité internationale. Il est important de préciser ici qu’on l’a rencontrée la veille de l’invasion, elle n’a donc pas pu se prononcer sur les réactions suivant l’attaque, mais elle a quand même pu présenter un portrait intéressant de la situation avant l’agression.
Elle rappelle que pour la Russie, l’Ukraine fait partie de sa sphère d’influence, mais également que plusieurs de ses citoyen.ne.s ont plus d’affinité avec la Russie qu’avec le gouvernement de Kiev. Certains Ukrainien.ne.s ont également des familles de l’autre côté de la frontière et ne voient pas nécessairement d’un mauvais œil l’indépendance, voire l’annexion. Cependant, il est clair aujourd’hui que les attaques ne visent pas simplement à sécuriser ces territoires prorusses.
Maxime Philaire, étudiant à la maîtrise rédigeant un mémoire sur l’affirmation de la puissance russe par sa force militaire, ajoute qu’il y a des motivations stratégiques à l’attaque. D’abord, elle empêche l’ajout de nouvelles bases de l’OTAN près de la Russie, qui en est déjà cernée par tout l’ouest. Le territoire ukrainien représente d’ailleurs une voie d’accès facile à Moscou. De plus, prendre des territoires ukrainiens permet de sécuriser des accès à la Mer noire, un enjeu vital, car plusieurs ports russes sont encerclés par l’OTAN ou gèlent pendant l’hiver. Prendre ces ports revêt donc à la fois un avantage économique et stratégique.
Du côté européen, l’articulation d’une position claire semble bien difficile. D’abord, il y a un problème de leadership. Comme le présente Mme Kimball, le président Macron et le chancelier allemand Scholz se livrent à une certaine compétition interne pour devenir la voix de l’Union européenne. Le premier se montre comme un chef plus expérimenté et le second comme le chef du moteur économique de l’Europe. Cependant, la division majeure s’articule autour du gazoduc North Stream 2. Celui-ci reliant l’Allemagne à la Russie est déjà terminé, mais est encore en processus de certification pour entrer en service. Il représente un aspect économique considérable pour l’Allemagne ainsi qu’une source d’énergie importante pour lui et les pays de l’Est de l’Europe. Cet aspect incite ces pays à plus de prudence vis-à-vis leur voisin russe, tandis que d’autres veulent mettre l’accent sur la souveraineté de l’Ukraine, mais « malgré les discours des États démocratiques, on observe que la Russie réussit à contrôler la donne » ajoute-t-elle, quelques heures avant les débuts de l’offensive.
M. Philaire pointe également vers l’absence d’un politique étrangère commune dans l’Union européenne qui conduit à des mesures protégeant les intérêts propres des États, parfois au détriment des autres États membres. Cette division se reflète jusqu’à la réplique économique de l’Europe, «il n’y a pas de grosse sanction pour vraiment isoler économiquement [la Russie] puisque chaque État défend ses intérêts».
La position de l’Ukraine avant le déclenchement de l’invasion était particulièrement difficile. Plus celle-ci s’approchait de l’OTAN, plus Moscou se faisait menaçant et, comme mentionné plus haut, le peuple ukrainien est lui-même très divisé. Plus on se trouve à l’ouest du pays, plus la volonté de collaboration avec l’Occident est forte, plus à l’est, on retrouve des populations prorusses. Le maintien de l’unité nationale dans ces conditions représente en soi un défi. Cependant, l’adhésion totale à l’OTAN, s’il n’était pas au goût du président Poutine, ne servait pas les intérêts de l’alliance non plus. Comme l’explique M. Philaire, la Crimée et le Donbass étant sous contrôle russe, les Ukrainiens auraient alors pu faire appel à l’ensemble de l’OTAN pour reprendre ces territoires. Or, les membres de l’OTAN ne veulent pas se risquer à une guerre directe avec la Russie, comme le démontre l’absence de réaction militaire. De plus, les lacunes démocratiques et le haut taux de corruption de l’Ukraine ont longtemps entretenu les réserves de l’OTAN à accueillir le pays dans ses membres.
Finalement, la population russe elle-même semble divisée sur la question, précise l’étudiant. Bien qu’il soit difficile de se faire un portrait clair des opinions opposées au régime dans un pays autoritaires, plusieurs journaux et ONG rapportent que des manifestant.e.s s’opposant à l’invasion ont été arrêté.e.s. De plus, les citoyen.ne.s russes sont particulièrement sensibles aux pertes militaires depuis les guerres d’Afghanistan et de Tchétchénie, ce qui peut orienter l’opinion publique contre l’intervention.