Le 14 septembre dernier, on a vu naître un accord américano-russe concernant la destruction de l’arsenal chimique syrien. En effet, le régime d’Al-Assad serait prêt à signer la Convention contre l’utilisation des armes chimiques et à détruire ses effectifs.
Sabrina Zouaghi
Jean-Pierre Derriennic, professeur associé au Département de science politique, rappelle que la communauté internationale se doit d’être pragmatique et de ne pas voir cet accord avec trop de naïveté. L’accord survenu le 14 septembre dernier pourrait prendre plus de six mois avant de se mettre en branle et avant que commence la destruction des armes chimiques, ou du moins son déplacement vers des centres de destruction qu’il faudra construire à coup de plusieurs millions. Le laps de temps fera sans aucun doute vivre de nouvelles péripéties au peuple syrien et permettera que les pions sur l’échiquier soient déplacés. Dans tous les cas, le ministre russe des Affaires étrangères affirme que son pays est prêt à envoyer des troupes, afin d’assurer la sécurité des inspecteurs des armes chimiques de l’ONU.
Pendant ce temps, le président de la Coalition nationale syrienne, Ahmad Jarba, se dit prêt à participer à la conférence de Genève-2 après de nombreuses hésitations, sous certaines conditions. Il désirait notamment que cela aboutisse à un gouvernement de transition doté des pleins pouvoirs, que toute résolution concernant la destruction des armes chimiques soit prise en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU ( qui prévoit un recours à la force ) si les dispositions prévues ne sont pas respectées et que Bachar al-Assad démissionne. Spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, Francesco Cavatorta, doute que le départ de Bachar al-Assad puisse être une garantie de paix. L’esprit de « clan » ( ‘assabiyya en arabe ) est un phénomène réel dans le monde arabe et qui permet la protection du groupe. Le soutien à Bachar al-Assad, perçu comme le « parrain » du clan alaouite, est un symbole patent de cette « ‘assabiyya », et son départ équivaudrait presque à une condamnation à mort ( ou du moins, la perception d’une telle chose ) pour les membres de son « clan », ainsi que pour les minorités ( telles que chrétiennes ) se sentant menacées par les sunnites. Conséquemment, Al-Assad demeure un élément-clé à la fin des hostilités.
Quant au régime, il pourrait demander l’établissement d’un cessez-le-feu à Genève-2.
Alors que l’influence incontestable de la Russie dans ce dossier augmente de jour en jour, l’étoile des États-Unis semble pâlir. « Barack Obama est tombé dans tous les pièges qu’il y avait », a expliqué Jonathan Paquin, spécialiste des relations étrangères des États-Unis. Les menaces d’une intervention si des armes chimiques étaient utilisées, cette « fameuse ligne rouge », consiste en la première erreur du Président des États-Unis. Jonathan Paquin poursuit : « Les deux règles d’or en diplomatie sont : 1 ) si nous menaçons un adversaire, il faut être sûr de pouvoir l’exécuter et 2 ) être sûr que nos alliés nous appuieront ». La seconde erreur est qu’Obama ait demandé l’avis du Congrès concernant une intervention militaire, alors que le War Powers Act de 1973 permet au président d’envoyer des troupes en territoire étranger sans l’aval du Congrès, et ce, pour une période de deux mois, ce qu’avait fait Obama lors de la crise libyenne en 2011.
Qu’en est-il de l’avenir de la Syrie et du rôle de la communauté internationale ? « Il n’existe pas de bons scénarios; il faut choisir la moins pire option possible », conclut Cavatorta. Quant à Derriennic, il rappelle la guerre civile qu’a connue le Liban de 1975 à 1990…
Les opinions des spécialistes ont été recueillies lors de la conférence « Syrie : Intervenir ? Risques et enjeux » donnée à l’Université Laval le 17 septembre dernier.