Par Mikaël Grenier, journaliste collaborateur
Se réveiller. Être épuisé de n’avoir pas assez dormi. Fatigué d’avoir texté toute la nuit, d’avoir encore travaillé tard, d’avoir encore étudié tard. Se lever de son lit en retard.
Enfiler un café. Avoir plus ou moins sur la conscience le sort de celui qui l’a cultivé. Partir au travail. Prendre le bus. Ignorer le chauffeur. Mettre ses écouteurs, ne parler à personne. Arriver au bureau. Passer sa journée en futiles réunions. Sur Teams.
Lunchbreak – N’avoir pas le temps de s’arrêter. Manger devant un écran. Manger sans faim. Manger sans fond. Manger sans fin.
Enfin finir son quart. Faire la ride de bus à l’envers. Descendre un arrêt plus tôt à l’épicerie. Entrer masqué. Lire la peur sur le visage des hommes. La peur de l’autre, de l’invisible. De la mort. Fuir la mort – mais elle fait pourtant partie de la vie. En fuyant la mort, cesser de vivre. Se désinfecter les mains, sauver des vies. Dédaigner l’autre pour un mal invisible qu’il porte peut-être. Avoir peur.
N’avoir pas le temps de cuisiner. Acheter des plats préparés. Les payer à prix fort. Payer le prix du temps perdu au travail. Manquer d’argent, mettre ça sur la carte de crédit. Devoir retourner travailler le lendemain pour rembourser. N’avoir toujours pas le temps de cuisiner.
Dans la file pour payer, se faire rentrer dedans par quelqu’un qui texte. Qui n’est pas à l’épicerie. Qui est avec d’autres gens. Qui, une fois avec eux, ne sera pas non plus avec eux.
Voir un ordinateur-caisse se libérer. Aller scanner soi-même ses tomates importées. Réaliser qu’un caissier est au chômage. Avec lui, la chaleur d’une interaction humaine. Se sentir aliéné. Se sentir sacrifié.
Rentrer chez soi. Se mettre à table, n’avoir pas faim. Avoir la nausée.
Écrire un article dans l’espoir de, peut-être, éveiller une conscience. Peut-être deux ou trois. Se dire que la conscience est l’étincelle qui attisera peut-être le feu du beau. Que les belles âmes propageront le beau. Et que l’humain est profondément beau, et que la beauté est profondément humaine, et qu’après tout, y’a de l’espoir. Se dire, finalement, qu’avec un peu de chance, « la beauté sauvera le Monde ».